Maps to the Stars par BlueKey
Avec Cosmopolis, David Cronenberg offrait une vision terrifiante et cauchemardesque du monde, un univers nocturne kafkaïen qui dénonçait l’emprise du capitalisme sur notre société contemporaine. Maps to the stars, tout aussi politique et conscient de son époque, semble être le reflet diurne et réaliste de ce précédent opus. Rats géants et autres métaphores laissent ici place à l’horreur des personnages, de leur mauvais goût, et à l’immersion, souvent gênante, dans la vie privée de ces vedettes hollywoodiennes.
Cette immersion, nous l’obtenons des yeux d’Agatha, pyromane de 18 ans venue retrouver sa famille qui l’a rejetée et enfermée dans un asile en Floride. Son frère, Benjie Weiss, est devenu enfant star grâce au film « Bad Babysitter ». Sa mère s’occupe du succès de son fils, son père vend des livres de psychothérapie. Pour se rapprocher du milieu hollywoodien et surtout de son frère Benjie, Agatha devient servante d’une actrice célèbre, Havana Segrand. Elle obtient ce contact par le biais de Carrie Fisher, l’actrice de Star Wars, rencontrée… sur Twitter ! Dernier pion de ce film choral désenchanté, Jérôme, jeune chauffeur de limousine qui rêve de devenir acteur et scénariste.
De manière surprenante, Maps to the stars fait souvent rire – jaune, certes. Les effets visuels de Cronenberg ainsi que la musique d’Howard Shore semblent être comme « tamisés », ils disparaissent pour laisser briller les personnages et les dialogues, servis avec beaucoup de talent par un casting parfait.
On pourrait croire le film académique. Il l’est, d’une certaine manière. Sobre, clinique. Mais c’est parce que l’horreur est elle-même banalisée, admise, pour ces vedettes que l’on traite comme des rois et reines intouchables. Rois et reines qui couchent entre eux, noblesse incestueuse du monde d’aujourd’hui. Les scènes de sexe, si souvent perturbantes chez Cronenberg, sont ici filmées de manière anodine. Nous sommes dans un monde où la pornographie s’affiche en grand, un monde où l’on confie son inceste mère-fille sur un plateau télé en guise de promo d’un nouveau film… le monde d’aujourd’hui. A l’horreur du capitalisme, qui déformait les rues de New York dans Cosmopolis, succède l’horreur banale d’une autre élite financière, celle des stars américaines. Tout le monde semble coucher avec tout le monde dans ce petit milieu très fermé, au point de rendre la célèbre comédienne Havana Segrand jalouse de sa servante Agatha, et de vouloir ainsi « posséder » le très sexy chauffeur de limousines. Ces coucheries (à deux, à trois, à quatre, entre frères et sœurs) se succèdent comme à « l’arrière-plan » : elles sont parfois montrées, parfois seulement entendues par commérages.
En marge de cette apparence glacée, de cette chair triste, Cronenberg utilise comme toujours les codes du fantastique pour construire son récit. Cette fois,ce sont des apparitions spectrales. Profondément athée, le cinéaste se refuse à une utilisation classique des fantômes, qui sous-entendraient une vie après la mort. Ces visions fantomatiques deviennent alors le signe d’un thème ô combien Cronenbergien : celui de la contamination. En effet, la folie semble contaminer un à un tous les personnages de ce microcosme hollywoodien incestueux. Parallèlement à ces rapports sexuels qui les relient entre eux, les signes de la folie apparaissent chez chacun des personnages, un à un, depuis l’arrivée d’Agatha. Alors que l’on réalise un remake de « Stolen Waters », un film des années 60 et grand succès de la mère d’Havana Segrand, le réel semble lui aussi reproduire le passé. La mère y incarnait une folle, qui récitait sans cesse le poème « Liberté » de Paul Eluard. Ce poème se transmet, tout comme se transmet la folie, tout au long du film : depuis le personnage de Stolen Waters dans les années 60, il contamine Agatha, Benjie, Havana… il est le symptôme de l’inceste, véritable point commun qui relie secrètement les personnages. Tous sont voués à la mort, par empoisonnement, à coup de statuette des Genie Award, ou bien par le feu, symbole du film et de son affiche (Los Angeles embrasé).
Les autres « monstres » du film, ce sont les productions hollywoodiennes. Une suite de film avec des enfants, un remake d’un classique, une série de science-fiction cheap et ersatz d’une autre (Battlestar Galactica). La figure de Benjie, enfant-star de 13 ans, déjà désintoxiqué, froid, cynique, tête d’adulte sur un corps d’enfant, en est le symbole le plus mémorable. Aux autres enfants, qui viennent lui demander un autographe et qui le voient comme une « Star », il claque la porte au nez. Car lui-même ne se voit pas comme une étoile, mais comme perdu en enfer. Ce monde magnifique et attirant, fait de belles villas vitrées et de célébrités adulées, cache avec indécence toutes les névroses imaginables. Quand une goutte de sang perle sur le canapé à 12 000 dollars, le monde rêvé se dérègle et la folie explose.