Jusqu'où irions-nous pour exister aux yeux des autres ?

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Je me souviens d'une route qui ne finit jamais — et c'est la seule image qui reste, collée comme une poussière sur la rétine. Marche ou crève n'est pas un film, c'est une seringue froide qu'on enfonce dans la nuque d'une Amérique qui a oublié comment respirer. Francis Lawrence transforme le roman de King en une procession funèbre, lente, bruitée : les pas claquent comme des horloges, les respirations sont des verdicts. On entre dans le film comme on entre dans une église délabrée — sans foi, mal arrangée.


Le ton est sec, clinique, et pourtant il y a un lyrisme malade : Cooper Hoffman campe Garraty avec une vulnérabilité tranchante, un garçon qui porte la naïveté comme une armure percée. David Jonsson (McVries) apporte une gravité qui équilibre le film — leur duo tient l'écran comme deux planches soutenant un cercueil. Les voix, l'éclairage, la musique de Jeremiah Fraites forgent une atmosphère où la compassion devient infraction.


Le scénario module la tension comme une scie : parfois aigu, souvent obsédant. Les mises en perspective sur la société voyeuriste, la télé-réalité d'État, restent en surface, comme des cicatrices qu'on évite de gratter ; peut-être volontaire : la mise en scène préfère faire sentir la douleur plutôt qu'expliquer. Certaines scènes — l'arbre où l'on vomit, la place où la foule attend — sont gravées sans fard, insoutenables et nécessaires à la fois.


Côté esthétique, la photographie de Jo Willems épouse la monotonie. Plans larges sur la route, champs serrés sur les visages comme si l'objectif voulait voler l'âme — images qui s'accrochent après le générique. Les rares ralentis claquent : sang, chaussures, poussière deviennent signes. Le montage n'abdique pas au spectaculaire ; il administre la dose, inflige la tension.


Performance : Hoffman est une révélation mesurée, Jonsson un pilier. Mark Hamill incarne un Major paternaliste et glaçant ; Judy Greer trouve la note juste de mère brisée. Les seconds rôles — Plummer, Wareing — ajoutent textures et humiliations humaines, petites rafales d'humanité avant l'extinction.


La bande-son, minimaliste, tresse des silences lourds, cordes rampantes, percussions comme un cœur malade. On sort du film le rythme cardiaque décalé.


Le message n'est pas livré en slogans mais en expérience : Marche ou crève interroge notre goût pour la cruauté télévisuelle, notre aptitude à normaliser l'horreur. On peut lui reprocher son manque d'explication politique, sa fidélité froide au cauchemar du roman plutôt qu'une mise en perspective ; pourtant la puissance sensorielle est là.


Il reste, après la salle, une nausée : on a vu des garçons devenir des monuments fragiles, des amitiés nouées comme des pansements, des actes d'héroïsme qui n'ont qu'une portée intime. Le film nous colle la question au larynx : jusqu'où irions-nous pour exister aux yeux des autres ? Et ça brûle.


https://www.youtube.com/playlist?list=PL20YyCbDV6ECMvmhSuCu8WtMbVtItUgMD

Le-General
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le 2 oct. 2025

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Le-Général

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