Loin des ors et des brocards de la royauté, silhouette menue dans sa robe gris bleu agrémentée d’un simple fichu de dentelle et soulignée à la taille par une large ceinture de soie pastel, Marie-Antoinette veille à l’éducation de son fils à la Tour du Temple : le Dauphin Charles-Louis, alors âgé de 8 ans.
On est le 21 janvier 1793 : Louis XVI, son époux et dernier roi de France va être guillotiné en place publique.



-8 fois 4…32, annone l’enfant, inquiet, guettant l’assentiment sur le visage de sa mère.
- Mauvaise réponse.
-Vous êtes sûre que ça ne fait pas 32 ? 34 alors ? Non…
-Votre réponse était la bonne, en revanche votre attitude ne l’était pas : vous manquez d’assurance, Charles, ne laissez personne penser à votre place, agissez selon votre cœur et vos convictions, prenez conseil mais ne vous rangez jamais à l’avis de la dernière personne qui a parlé, soyez vous-même, toujours.



Et tandis que la jeune femme, comme toutes les mères, se laisse aller à des câlineries affectueuses avec l’enfant, à présent rasséréné par ses caresses, retentissent à l’extérieur, les clameurs haineuses d’une foule déchaînée et en délire : la tête de l’Ennemi du peuple vient de tomber, le roi est mort.


S’agenouillant alors devant son fils, interdit, Marie-Antoinette, en signe de respect, prononce ce qui sonne comme des paroles d’allégeance :
« Sire, vous êtes à présent le Roi de France »
L’enfant ne reverra jamais cette mère, honnie et vilipendée, que l’on n’appellera plus que « La Veuve Capet » avant qu’elle ne devienne « la reine raccourcie », souveraine déchue dont le peuple de France réclame la tête à cor et à cris.


Exit les bas blancs et la longue veste de soie puce du jeune Dauphin : on le retrouve, vaguement hébété, petit sans- culotte au cheveu en bataille, pieds-nus dans des savates éculées, confié aux « bons soins » du cordonnier Simon.


Dans l’antre de cette brute épaisse, admirateur inconditionnel du vindicatif Hébert et sa feuille de chou ordurière « Le père Duchesne », fervent adepte de Fouquier-Tinville dit « le bouche de fer de la terreur », accusateur public du Tribunal révolutionnaire, l’enfant, le nez collé à la cage où volète son petit occupant déplumé, fredonne d’un air complice des chants révolutionnaires, pour la plus grande joie de son geôlier à la colère et au rire tonitruants.


Transférée à la Conciergerie le 2 août 1793, Marie-Antoinette est désormais seule, petite ombre grise, silencieuse et furtive aux couleurs de la prison : un époux guillotiné, des enfants arrachés à leur mère, des royaumes d’Europe qui l’ont abandonnée…


Mais une force d’âme qui lui fait dire à ses avocats, confiante, le 13 octobre 1793, soit 3 jours seulement avant la fin : « Jamais ils n’oseront m’exécuter. »
Comment pourrait-elle savoir alors, que les membres du Comité de salut public, réunis en grand secret dans la nuit du 2 au 3 septembre, date de son ultime évasion manquée, ont déjà scellé son funeste destin ?


Des loups acharnés sur leur proie et la dépeçant, avides de s’attribuer la meilleure part : Hébert, le plus venimeux, le plus brutal, qui déverse sa haine de « la guenon autrichienne » dans les colonnes de son journal, mu par l’obsession morbide d’avoir sa tête, Fouquier-Tinville, l’idéologue fonctionnarisé, exécutant et exécuteur, dominé par ses propres peurs et Robespierre, politique et stratège, pétri d’idéologie révolutionnaire, qui offre au peuple la tête de la « Veuve Capet », grand ordonnateur d’un simulacre de procès de 2 jours et 2 nuits, auquel il n’assistera pas, mais où il a placé ses sbires les plus sûrs et tout prévu, jusqu’au choix des jurés.


Peu de dialogues et beaucoup de silence, un choix judicieux qui donne à la reconstitution de ce procès truqué où le verbe prend tout son sens, un côté oppressant, soulignant le fossé qui sépare la reine déchue de ses accusateurs, et l’éclairage crépusculaire de la scène, ses clairs- obscurs si proches des tableaux flamands, s’avèrent en totale harmonie avec la sobriété de la réalisation et le jeu particulièrement juste des comédiens.


Maud Wyler, visage blanc, presque diaphane, robe noire et coiffe tuyautée de femme du peuple, campe, avec une rare sensibilité, un maintien et une élégance tout intérieurs, cette captive hors du commun prise dans la tourmente de ce qu’on appela à juste titre la Terreur.


Bien loin des portraits de la reine qui nous sont familiers, l’actrice parvient néanmoins à incarner de façon saisissante Marie-Antoinette face à ses juges, point fort de cette dramatique en 5 actes narrée avec sentiment par le comédien Denis Podalydès.


Comment ne pas tressaillir en effet, à l’accusation d’inceste, martelée par un Hébert atrocement jubilatoire, à l’encontre d’une femme -symbole d’un régime qu’il hait de toutes ses forces- dont il se plaît à étaler les obscénités extorquées au Dauphin, un enfant de 8 ans et le propre fils de la reine ?!


« J’en appelle à toutes les mères !»


S’écrie Marie-Antoinette, sortant de sa réserve, livide et littéralement décomposée, prenant à témoin les femmes du public, dont certaines, honteuses, ne peuvent s’empêcher de baisser les yeux.


Et outre ce passage, criant de vérité, je retiendrai le parallèle poignant entre les deux déshabillements essentiels des 38 années d'existence de Marie-Antoinette : le premier, qui marque le début de sa vie de femme, en tant que jeune Dauphine de France, et le second, où nue, de dos, sans la moindre intimité, elle revêt LA robe blanche, symbole de son entrée dans la mort, et porte notre émotion à son comble.


Les derniers mois de Marie-Antoinette : 76 jours dans les geôles du palais de la Cité, une fiction documentaire adaptée du livre « Juger la reine » de l’historien Emmanuel de Waresquiel, dans lequel on découvre, à la lumière d’archives inédites et à la faveur de l’adversité, la stature d’une Reine : force de caractère et dignité insoupçonnées face au fantôme d’épuration constante.
Une très belle adaptation sobre et digne, qui m’a ramenée, d’une certaine manière, à la biographie de Marie-Antoinette de Stefan Zweig, laquelle, à l’époque, m’avait enthousiasmée.

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le 27 oct. 2021

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Aurea

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