*C'est le temps de l'amour
Le temps des copains
Et de l'aventure


Quand le temps va et vient
On ne pense à rien
Malgré ses blessures


Car le temps de l'amour
C'est long et c'est court
Ça dure toujours
On s'en souvient


On se dit qu'à vingt ans
On est le roi du monde
Et qu'éternellement
Il y aura dans nos yeux
Tout le ciel bleu*


https://www.youtube.com/watch?v=oYwzKjnR9dc


Le dernier Kechiche est magnifique, lumineux et sensuel. J’ai lu ici ou là que le regard du cinéaste penchait de façon trop ostentatoire en direction du postérieur de son actrice principale et qu’à l’heure de la dénonciation des harcèlements sexuels dont étaient victimes les femmes, c’était inadmissible. Certains ont même trouvé le film libidineux, sexiste et misogyne.
Certes, la caméra reluque parfois le fessier d’Ophélie Bau, mais pour parler crûment, si vous me passez l’expression, quand on le regarde on ne peut s’empêcher de penser "Fichtre, diantre, quel cul !" Il faut bien de temps en temps appeler un chat un chat et il se trouve qu’Ophélie est généreusement lotie par la nature et qu’elle possède une belle paire de fesses (et un corps voluptueux).
Est-ce faire preuve de sexisme que de dire cela ? Sans doute, mais les hommes et les femmes sont sexués et il serait idiot de le nier. Pour autant, même s’il s’attarde parfois plus que de raison sur les parties charnues de ses actrices, le regard que Kechiche porte sur elles n’est pas concupiscent et Mektoub n’est en rien un film érotique ou de débauche sexuelle.


En ce qui concerne la misogynie supposée de l’auteur, elle ne tient pas : il est évident que Kechiche aime les femmes. Et pas seulement leur corps. Dans ce film, comme dans ses précédents, les femmes ont une forte personnalité. Elles sont belles, mais aussi intelligentes. On est très loin du "sois belle et tais toi". Au contraire, elles n’arrêtent pas de parler ! Et si on les voit se faire draguer, elles draguent tout autant. Si on les désire, elles désirent aussi. Elles ne sont pas passives, simples objets du désir, bien au contraire, elles sont entreprenantes et moteur de l’action ou des débats. Si le film exalte les corps et les désirs, il porte également au plus haut point le verbe. Ici on tchatche à n’en plus finir. Et il n’y a pas uniquement les jeunes filles. Les moins jeunes aussi ont droit à la parole. La mère d’Amin n’a pas sa langue dans sa poche et elle est la première à remettre en place un homme qui drague de manière trop appuyée une "pauvre jeune fille en détresse".
Ce procès en misogynie n’a pas lieu d’être, mais il n’est pas surprenant qu’aujourd’hui, en plein retour à l’ordre moral et à un certain puritanisme, on s’offusque du fait que Kechiche filme le corps de ses actrices.


D'autant qu'à part la première scène de sexe, on ne voit pas de femmes nues. Revenons sur cette séquence . Elle est crue, comme l’étaient celles de La vie d’Adèle, mais elle est courte et moins froide. Et puis, sa crudité est justifiée, dans la mesure où c’est une scène voyeuriste. Amin (Shaïn Boumedine) surprend les deux amants en regardant par la fenêtre, à travers les persiennes. Il est d’ailleurs gêné.
Moi aussi, j’ai été gêné, parce que cette intimité ne me regarde pas, qu’elle intervient par surprise, dés le début du film. Mais le film de Kechiche, en plus de parler du désir, parle du regard. Amin est photographe, il regarde les paysages, les femmes qui l’entourent, ou un agneau qui naît (dans une séquence magique) . Mais à part dans cette scène, son regard n’est pas concupiscent. Et puis, il souffre d’avoir regardé, parce que c’est tabou, cette fille est tabou pour lui.


Sa mère lui a recommandé de profiter de ses vacances, du soleil, de s’amuser avec ses amis et de danser avec les jolies filles. Mais Amin, qui est beau comme Apollon et suscite la convoitise de toutes les femmes qui l’entourent, est sage comme une image, réservé, passif. Tout le contraire de son cousin Tony , séducteur invétéré, dionysiaque dans l’âme.
Il est d’ailleurs troublant que dans ce film solaire, le personnage principal, sorte de double du réalisateur soit si ténébreux. Parmi toute cette frénésie des sens, seul compte pour lui son amour secret pour Ophélie.
Il pourrait profiter de sa jeunesse et de sa beauté pour conquérir toutes les femmes qu’il désire. Mais non, il reste en retrait, son cœur étant déjà pris par la belle Ophélie, à qui il n’ose pas avouer son amour, parce que c’est une amie d’enfance, sa meilleure amie, qu’elle est destinée à un autre (à Clément, son ami militaire, parti au front dans le Golfe) et qu’elle couche avec son cousin.


Outre la première scène de sexe, un peu gênante, la 1ére scène entre Amine et Ophélie est mal post-synchronisée et donne une impression de fausseté surprenante quand on connaît Kechiche et son sens des dialogues et du parler vrai. Mais peut être est-ce exprès, d’abord pour casser le mythe du naturalisme, ensuite parce que justement Ophélie est fausse dans cette scène. Elle lui cache à lui, son meilleur ami, qu’elle vient de coucher avec Tony.


La suite est en revanche sans fausses notes et les séquences qui s’enchaînent, de la drague sur la plage à la danse dans le bar, sont impressionnantes. Les comédiens sont tous remarquables et c’est avec plaisir qu’on retrouve la gouaille méridionale d’Hafsia Hersi, dix ans après La graine et le mulet.


Les dialogues hors pair sont d’un naturel confondant et sont souvent très drôles et la mise en scène près des corps capte cette jeunesse en vacances au bord de la mer avec une virtuosité enivrante. Les séquences sont étirées à n’en plus finir, sur le fil du rasoir, à la limite de l’excès, mais on ne s’ennuie pas, bien au contraire, on est heureux de suivre cette jeunesse marivauder sans retenue, sous le soleil de Sète.


Et comme il s’agit d’un "canto uno", il y aura une suite, qui s’annonce passionnante !

Roinron
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le 2 avr. 2018

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Roinron

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