Pâté en croupe
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Les films de Kechiche sont toujours guidés par la saturation, le trop plein, l’ivresse sous toutes ses formes. Dans l’Esquive, l’ivresse est plutôt langagière; dans la Vie d’Adèle elle est plutôt sexuelle mais le cinéma de Kechiche oscille généralement entre ces deux pôles indissociables : la profusion verbale et l’électricité des corps. La parole échauffe les corps comme les corps génèrent la parole, et le film est la circulation des corps et des paroles, les paroles étant les commentaires de l’action des corps. Contrairement aux films de Desplechin, où les dialogues sont très intellectualisés et où la parole provient directement de la culture du personnage et des livres qu’il a lus, la parole est une secrétion corporelle, comme les larmes ou le sperme.
C’est cet élément qui fait de son cinéma un cinéma proprement naturaliste, car formellement il a beaucoup plus d’analogies avec le ballet surtout dans ce film où les personnages passent d’un bras à l’autre selon une mécanique du désir qu’orchestre le film avec un brio certain. Dans Mektoub my Love, le trop-plein kechichien est représenté par une paire de fesses qui déborde du minishort. Le cul féminin est omniprésent, il déborde du minishort des protagonistes comme il déborde du cadre. Le cul symbolise aussi l’ambition formelle de Kechiche, comme si il cherchait à épuiser les culs, à les vider de leur tension sexuelle à force de les faire se dandiner pendant trois heures. A propos de tension érotique, il faut louer la performance de Lou Luttiau qui incarne Céline, révélation du film et dont la carrière me paraît prometteuse.
Sur le plan politique, le film est cependant assez consternant. Il nous dépeint des français(es) complètement acculturé(e)s à la culture maghrébine et des maghrébins tels qu’ils pourraient être si ils étaient européens; certes c’est un film de vacances et la légèreté et l’insouciance est la norme dans ce type de films (et ce, aussi bien dans les films de Rohmer que dans les Bronzés, le film de vacances est une spécialité française) mais le spectateur ne peut s’empêcher d’éprouver un certain malaise devant ce spectacle. Il est fort probable que la réconciliation, après avoir été le mot d’ordre de la mouvance soralienne, soit devenu aussi celui du cinéma français. Il aurait mieux valu que le film soit exempt de ce contexte ethnico-politique. C’est la raison pour laquelle je vais préférer, dans le même genre, l’excellent Spring Breakers d’Harmony Korine, qui a le mérite d’aller jusqu’au bout de la décadanse sans pour autant la saupoudrer de vivre-ensemble et d’idéalisation de l’ "Autre".
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le 21 mars 2018
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