Pâté en croupe
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le 22 mars 2018
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De manière générale, ce que j’aime chez Kechiche, c’est sa façon de filmer les gens comme s’il ne filmait rien d’autre que le présent. Il n’a pas besoin de flashbacks, d’explications, de voix-off pour nous dire qui est qui ou pourquoi untel agit comme ça. Il observe, il laisse vivre, et nous, on regarde.
C’est presque du documentaire, mais avec une grâce de cinéma. Chez lui, la narration passe par un geste maladroit, un silence gêné, un sourire trop long pour être innocent, ou une danse qui en dit bien plus que n’importe quel dialogue.
On retrouvait déjà ça dans L’Esquive, dans ces dialogues qui paraissaient improvisés mais sonnaient plus vrais que nature. Et dans La Vie d’Adèle, où un simple repas de famille pouvait durer une éternité parce qu’il captait les regards, les hésitations, les petits drames invisibles. Mektoub My Love continue dans cette veine, mais avec le soleil et le sel de la mer en plus.
Dans Mektoub My Love, il filme une bande de jeunes, cousins, amis, amants potentiels, dans un été qui ressemble à mille autres mais qui, pour eux, est unique. On voit les commérages, les histoires d’amour qui se tentent, celles qui échouent avant même d’avoir commencé, les disputes ridicules, les séances de drague maladroite, ces petits moments interminables avant une soirée où tout le monde parle en même temps. Et c’est beau parce que ça ne raconte rien d’exceptionnel, mais ça raconte tout ce qui fait une vie.
Ce que Kechiche capte, ce sont les plaisirs simples : bronzer, danser, manger, rire, flirter, courir dans l’eau comme des gamins. Il montre aussi les petites angoisses discrètes : celle d’être mal aimé, d’être à côté, de ne pas être choisi. Sans jamais juger, sans morale, sans leçon. Juste des jeunes qui passent l’âge idéal pour être insouciants et pour croire que l’été ne finira jamais, que la seule vraie question, c’est "avec qui je vais sortir demain soir ?".
Kechiche, c’est aussi l’art de filmer les corps, les vrais corps, les corps vivants, qui transpirent, qui rient, qui dansent, qui baisent, qui se cherchent. La caméra devient presque tactile. Quand il filme une danse interminable en boite, on finit par sentir la chaleur, la musique trop forte, l’excitation de la nuit. Quand il filme une scène d’amour, il ne coupe pas au bout de dix secondes : il laisse le moment devenir presque gênant ou au contraire marrant, et surtout vraie, comme dans la vie.
On sent que tout est travaillé, la lumière dorée de la fin de journée, le souffle du vent, les regards volés, mais ça n’a jamais l’air fabriqué. Kechiche cherche la vérité, non pas dans le scénario, mais dans l’instant où la caméra tombe juste.
Puis, on est dans la définition même du film solaire. Solaire comme un été qu’on n’a pas encore idéalisé, parce qu’on y est encore. Et à mon sens, réussir à faire ressentir cela, c'est ça du cinéma. Il ne nous raconte pas un souvenir d’été, il nous donne l’impression d’y être.
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le 2 nov. 2025
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