Dans Memories of Murder et The Host, les films adoptent une approche narrative où un événement particulier devient le prisme d’une réflexion plus large sur la société coréenne. Une enquête sur un tueur en série dans la Corée rurale ne se limite pas à une simple intrigue policière : elle reflète les dysfonctionnements du pays sous un régime militaire autoritaire, marqué par une incompétence policière et une violence institutionnalisée. Tandis que sous l’apparence d’un film de monstre, se construit une critique de la présence militaire américaine en Corée du Sud et de ses conséquences écologiques et politiques.

Bong Joon-ho, pour son prochain film, choisi une démarche inverse : plutôt que d’explorer des ramifications complexes, il veut recentrer son récit sur une force unique et primordiale, celle de l’amour maternel. Il ne s’agit plus d’un film où plusieurs thématiques s’entrelacent, mais d’un projet où toutes les tensions convergent vers une figure centrale : la mère. En explorant ce personnage avec une nouvelle approche, il se détache des conventions du mélodrame maternel coréen et plonge dans un récit plus oppressant, mêlant thriller psychologique et portrait intime, où l’émotion et l’ambiguïté dominent.

En 2009, Mother est présenté au Festival de Cannes dans la section Un certain regard, une catégorie mettant en avant des œuvres singulières et audacieuses. Le film arrive en France début 2010, poursuivant son succès critique et renforçant la réputation du cinéaste comme l’un des auteurs majeurs du cinéma contemporain.

Kim Hye-ja incarne bien plus qu’un simple personnage : elle est la pierre angulaire du film, l’élément central autour duquel tout s’articule. À soixante-dix ans, avec quarante sept ans de carrière derrière elle, elle est une véritable légende en Corée du Sud. Connue principalement pour ses rôles de mères aimantes et sacrificielles dans des dramas télévisés, elle représente aux yeux du public coréen l’archétype absolu de la mère dévouée, celle qui aime sans condition et qui se sacrifie pour ses enfants. Son image, profondément ancrée dans la culture populaire, fait d’elle une icône nationale.

Bong Joon-ho joue justement avec cette perception collective pour en détourner les attentes. Il ne se contente pas de lui offrir un rôle conforme à sa réputation, il la pousse dans une zone inexplorée, là où l’amour maternel devient une force obscure, obsessionnelle et potentiellement destructrice. Ainsi, Kim Hye-ja ne joue pas seulement une mère aimante ; elle incarne une mère prête à tout, même à dépasser les limites de la morale, pour protéger son fils.

Bong Joon-ho a construit son récit de manière à faire surgir chez Kim Hye-ja une intensité dramatique rarement explorée dans sa carrière. L’un des éléments les plus frappants du film est le contraste entre la silhouette frêle de l’actrice et la violence qui semble sourdre de son personnage. Son visage marqué par le temps, son regard tour à tour inquiet, aimant, puis terrifiant, traduisent un paradoxe troublant : comment une figure aussi douce peut-elle basculer dans une détermination aussi radicale ?

Ce déséquilibre est au cœur du motif cinématographique du film. Il met en scène un amour maternel qui, loin d’être purement bienveillant, devient une force brute, parfois incontrôlable. Bong Joon-ho filme cette évolution avec une précision chirurgicale, révélant progressivement le caractère obsessionnel et potentiellement destructeur de cette mère. Ce basculement est amplifié par une mise en scène subtile, où les gestes, les silences et les regards de Kim Hye-ja en disent souvent plus que les dialogues eux-mêmes.

L’interprétation de Kim Hye-ja est tout simplement magistrale. Son jeu transcende les archétypes habituels du cinéma coréen et confère au film une puissance émotionnelle inédite. À mesure que l’enquête avance, la tension monte, et l’on est happé par cette quête de vérité menée avec une ferveur désespérée par une mère qui refuse l’injustice. L’enquête, loin d’être linéaire, multiplie les retournements et tient le spectateur en haleine. Chaque révélation complexifie la perception du personnage principal et de son rapport au monde, renforçant l’ambiguïté qui plane sur ses actions. Ce thriller psychologique ne se contente pas d’explorer les limites de l’amour maternel ; il interroge aussi la notion même de justice, de culpabilité et de sacrifice.

Avec Mother, Bong Joon-ho livre un film d’une rare intensité, porté par une mise en scène maîtrisée et une performance exceptionnelle de Kim Hye-ja. En détournant les attentes du public vis-à-vis de son actrice principale, il propose une réflexion poignante sur l’amour maternel et ses dérives. Thriller, drame et étude psychologique se mêlent ici dans une œuvre fascinante, qui ne laisse jamais indifférent. Ce film prouve une fois de plus le talent de Bong Joon-ho à transcender les genres et à offrir une lecture sociale et émotionnelle complexe, tout en s’appuyant sur des performances d’acteurs hors du commun. Mother est un incontournable du cinéma coréen, une œuvre qui, derrière son intrigue haletante, laisse une empreinte durable dans l’esprit du spectateur.

StevenBen
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le 24 mars 2025

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Steven Benard

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