"Je possédais tous les attributs d'un être humain - la chair, le sang, la peau, les cheveux -, mais ma dépersonnalisation était si profonde, avait été menée si loin, que ma capacité normale à ressentir de la compassion avait été annihilée, lentement, consciemment effacée. je n'étais qu'une imitation, la grossière contrefaçon d'un être humain. Seul un recoin obscur de mon cerveau fonctionnait encore."
Bret Easton Ellis (American Psycho)

En NightCrawler point une vérité tacite, communément admise et pourtant balayée d'un revers de main, le voyeurisme est devenu l'essence de notre société. C'est à mon sens ce qu'incarne le personnage de Lou Bloom, qui au delà de son apparente marginalité se révèle un pur produit de la société.
Protagoniste lucifuge arpentant les rues de Los Angeles; c'est guidé par un besoin viscéral de réussite et une ténacité hors norme qu'il transformera ses errances marginales en vocation professionnelle.
Scrutant les fréquences de police à la recherche du faits divers, Le fait divers qui fera le plus d'audimat au JT du matin, c'est en chasseur méthodique et appliqué que se transforme Lou, prêt à tout mettre en oeuvre pour réussir et s'intégrer dans un monde où le sensationnel, la violence et l'avidité d'images ne font plus que vendre des informations de surface. Vénérant le trash, c'est d'ailleurs avec ces mots que Nina lui décrit la ligne éditoriale de Channel 6 : "Imaginez notre JT comme une femme courant dans la rue la gorge tranchée". L'information devient alors un pur flash d'adrénaline privilégiant de manière exacerbée la forme au fond, bavardage choc et vendeur.
La photographie campe un univers singulier, entre obscurité et lumières artificielles qui constellent le cadre. Ce dédale qu'est LA, nous apparaît alors comme le terrain privilégié de la violence mais également le point nodal de notre société, car c'est là que la mécanisme du voyeurisme se met en marche, par le biais de ces émissaires charognards et inquiétants que sont les Nightcrawlers. Au delà du cynisme apparemment dont fait preuve Lou Bloom, transparaît son zèle professionnel de self made man prêt à tout pour réussir, contaminant des scènes de crimes, allant jusqu'à commettre l'irréparable... Excellent dans la manipulation, ce protagoniste, véritable main de fer dans un gant de velours, devient peu à peu un anti héros qu'on abhorre. Maintenant un masque rassurant, ce n'est qu' au détour de ses craquelures que point le monstrueux. Les scènes de chantage sexuel entre Lou et Nina sont en effet, tout à fait probantes sur la nature profonde du personnage. Cependant sous la surface, lorsque le monstre se révèle, peut-on réellement en vouloir à Lou ? N'est-il pas simplement la métaphore de notre société qui l' a faite à son image ? Il devient ainsi beaucoup plus dur de condamner le journaliste, pur produit sociétal qui s'assume et réussit grâce à l'apanage du voyeurisme et de la fonction scopique de l'image, une sorte de Patrick Bateman des années 2010, qui finalement "n'est tout simplement pas là" et réside en chacun de nous.
MaDMka
8
Écrit par

Créée

le 22 févr. 2015

Critique lue 285 fois

MaDMka

Écrit par

Critique lue 285 fois

D'autres avis sur Night Call

Night Call
Kobayashhi
8

La nouvelle obsession de Jake !

Cette journée commençait bien mal pourtant, arrivé au cinéma pour découvrir que la séance de Night Call était complète et s'orienter par défaut vers celle de The Search n'augurait rien de bon...

le 29 nov. 2014

104 j'aime

8

Night Call
CableHogue
4

Tel est pris qui croyait prendre...

Lou est un petit escroc qui vit de larcins sans envergures. Seulement, il veut se faire une place dans le monde, et pas n’importe laquelle : la plus haute possible. Monter une société, travailler à...

le 25 nov. 2014

94 j'aime

36

Night Call
Saymyname-WW
9

Un thriller haletant et sans compromis ! (Sans spoilers)

Ce film retrace donc le parcours de Lou, un jeune homme qui n’a pas fait d’études et qui se débrouille comme il peut pour survivre. Jusqu’au jour où il décide de se lancer dans une carrière de «...

le 26 nov. 2014

90 j'aime

28

Du même critique

Timbuktu
MaDMka
7

Ô vous frères humains

Au delà de son propos politique, et religieux, Timbuktu provoque bien plus que de l'indignation, devenant un film sur l'humanité, celle que chacun porte en lui. A travers des paysages sublimes et le...

le 14 déc. 2014

2 j'aime

The Visit
MaDMka
2

On a perdu M.N. Shyamalan

Si the visit offre bien une certitude c'est qu'on a définitivement perdu ce cher Shyamalan. On est bien loin de sixième sens et autre incassable, tant en terme de scénario (complètement anecdotique)...

le 2 nov. 2015

1 j'aime

Mr. Turner
MaDMka
7

Fenêtre sur coeur

Dès le générique, la poésie point, une volute se répandant sur l'écran dévoile par double exposition des parcelles de tableaux de Turner; comme une fenêtre sur son oeuvre. Le film campe ici la vie...

le 17 déc. 2014

1 j'aime