Il est des films qui, sans éclat ni prétention, nous conduisent aux confins du monde pour mieux nous parler de l’intériorité humaine. On the Ice, premier long-métrage du réalisateur inupiat Andrew Okpeaha MacLean, est de ceux-là. Située dans les paysages immaculés de Barrow, au nord de l’Alaska, cette tragédie silencieuse épouse les contours d’un drame moral, simple en apparence, mais chargé de tensions souterraines.


Ma note de 6.5/10 reflète cette ambivalence : celle d’un film sincère et rare, qui touche par moments, mais qui reste parfois figé dans sa propre glace narrative.


Le film s’ouvre sur l’immensité blanche, et l’on comprend vite que On the Ice ne cherchera pas à séduire par le spectaculaire. Ici, tout est retenue, latence, murmure. L’histoire, pourtant tragique — un accident mortel survenu lors d’une chasse entre trois adolescents, et le pacte de silence qui s’ensuit —, progresse avec une lenteur assumée, presque contemplative.


Mais si cette épure sert à créer un climat de tension psychologique sourde, elle devient parfois un piège : certaines scènes paraissent suspendues, vidées de leur potentiel dramatique. On attend le frisson qui ne vient pas, la parole qui libère ou condamne, et l’on reste souvent dans une forme de flottement, comme les personnages eux-mêmes, perdus entre deux mondes.


MacLean a fait le choix audacieux de confier les rôles principaux à des acteurs non professionnels, issus de sa propre communauté. Ce parti pris apporte au film une dimension documentaire bouleversante de réalisme. Les regards fuyants, les silences gênés, les gestes hésitants : tout respire la vérité.


Josiah Patkotak, dans le rôle de Qalli, incarne un adolescent tiraillé entre loyauté et culpabilité avec une pudeur touchante. Toutefois, cette sincérité brute s’accompagne parfois d’une maladresse d’interprétation : certaines scènes-clés manquent de tension émotionnelle, comme si l’intensité du drame n’atteignait jamais pleinement ses interprètes.


Là où le film se révèle pleinement, c’est dans son atmosphère. La glace omniprésente, les maisons basses écrasées sous le ciel blanc, les intérieurs sombres et étroits : MacLean filme une communauté prise dans l’isolement et l’oppression du non-dit. La caméra, discrète, presque invisible, capte les frémissements de l’âme avec délicatesse.


La bande sonore, minimaliste, laisse souvent place au silence — un silence pesant, presque moral. Le froid n’est pas seulement climatique : il est social, affectif, existentiel. Le réalisateur parvient à faire du paysage un véritable personnage, miroir des tensions intérieures des protagonistes.


Ce qui distingue On the Ice de tout autre drame adolescent, c’est la spécificité de son ancrage culturel. Le film ne se contente pas de situer son intrigue dans un village inuit : il interroge en profondeur la manière dont une communauté gère la culpabilité, la honte, le secret. Entre les traditions orales, le respect de l’autorité parentale, et les tentations du monde moderne, les personnages sont littéralement pris en étau.


Il y a dans cette œuvre une tension constante entre le besoin de vérité et la peur de rompre l’équilibre fragile d’un ordre communautaire déjà miné par les tensions sociales. Le film aurait gagné à creuser davantage ces enjeux : on sent qu’il y avait là un potentiel dramatique et sociologique immense, dont seuls les contours sont effleurés.


En fin de compte, On the Ice mérite d’être vu, ne serait-ce que pour ce qu’il donne à entendre et à voir d’un monde souvent invisibilisé. Son ambition est noble, son regard profondément humain. Mais le film peine à trouver l’intensité dramatique qui aurait pu faire de ce récit une véritable déflagration émotionnelle. Il nous touche parfois, nous échappe souvent.


C’est un premier film prometteur, sincère, mais encore prisonnier de ses limites. Comme la glace qu’il filme si bien, il laisse deviner des profondeurs, sans toujours y plonger.

CriticMaster
6
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le 23 avr. 2025

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