Donner à voir, immerger, disséquer : la nouvelle génération belge a décidément du talent à revendre en matière de cinéma social. Avec la même densité frontale que Laura Wandel dans L’Intérêt d’Adam, Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys investissent un tribunal et l’audience qui décidera du sort de deux enfants, qui refusent de revoir leur père, accusé de viol à l’encontre du plus jeune.
Un prologue présente la mère, isolée dans un cadre restreint et en longue focale, se démenant avec un enfant hostile refusant de la suivre, paniquée lorsqu’on la sépare de ses enfants. Des mouvements brusques, des cris, opposés au cadrage étudié d’un tribunal moderne, clair et troué de baies vitrées, comme pour compenser les soubassements de l’humanité qui vont devoir s’y ouvrir.
Mais l’essentiel de ce film très court (1h18) se concentre, près d’une heure durant, sur l’audience à proprement parler, dans laquelle tout se joue, restituée en temps réel. Chacun aura la parole, tour à tour, et ne pourra être interrompu par les autres. Chacun n’aura qu’une chance pour témoigner, convaincre, faire valoir son droit ou son innocence, chacun parlant au nom du bien des enfants.
Les procédures se télescopent, les instances ne communiquent pas, mais le système public tente de donner des réponses. Cette longue séquence, proprement suffocante et admirablement jouée, déploie sur la quasi-totalité d’un film celle qui concluait L’Histoire de Souleymane. Le réel s’y déploie avec une puissance radicale : par l’exhaustivité des discours, permettant à chaque parti d’exposer son cas, la caméra s’attardant longuement sur l’effet des discours sur ceux qui doivent les encaisser sans parler. Car l’intérêt consiste également à disséquer la rhétorique en jeu : les insinuations, les détours, les retournements, les provocations, le cri du cœur ou la construction calculée.
Charlotte Devillers, professionnelle de santé ayant travaillé dans le milieu, aide à parfaitement documenter les débats, d’autant que le duo des comédiens est entouré d’avocats réels, ayant travaillé leurs plaidoiries comme ils le feraient pour des personnes réelles.
Le caractère cauchemardesque est ainsi parfaitement restitué : celui d’une instance se devant d’être impartiale, en pesant la parole de l’une contre celle d’un autre. La révélation progressive des faits, la mère ayant la parole en dernier, nourrit une atmosphère proche du thriller (exacerbée par un habillage sonore peut être un peu trop souligné par moments), et enjoint le spectateur à prendre parti, tout en considérant les failles que la mère révèle elle-même sur son état et sa capacité à endurer la situation. L’admirable construction en gradation de ces blocs verbaux n’a donc pas besoin de s’embarrasser d’éléments superflus, et on peut s’interroger sur l’utilité de la scène post audience, où un rapport violent entre le père, ses enfants et la mère vient, d’une certaine manière, récompenser les attentes cathartiques exacerbées par l’immobilité forcée de la séquence précédente. Le retour de la parole, par l’enregistrement clandestin de l’entretien avec les enfants, vient cependant reprendre la véritable ligne directrice du récit, qui consiste accorder du crédit à ceux qui, par la colère ou le mutisme, ne sont pas encore capables de correctement formuler l’indicible.