Tels sont les mots employés par Thierry Fremeau, délégué général du Festival de Cannes pour qualifier le film. Deux ans après le succès public et critique de Drive, le duo gagnant Nicolas Winding Refn (NWR) / Ryan Gosling font à nouveau honneur à la Croisette. Auréolé du Prix de la Mise en Scène pour Drive, dire que Ony God Forgives était l'un des films les plus attendus de ce festival serait un doux euphémisme. Bénéficiant d'une projection cannoise et nationale à la fois, Only God Forgives avait tous les éléments pour être la controverse critique et publique de l'année.

Mai 2011, Drive est projeté à Cannes. Commande d’un studio hollywoodien auprès du réalisateur danois de la trilogie retentissante Pusher. Ce qui ne devait être qu’un thriller sans prétention s’est transformé en exercice de style plébiscité par la critique et le public. En prenant à contre-pied ceux qui espéraient avoir affaire à un ersatz de Fast and Furious, Drive se révélait être un choc esthétique, psychologique, sentimental et l’un des films phares de l'année. Une première bande-annonce avait agité la toile quelques mois plus tôt. Les cinéphiles de la toile éprouvaient une vive jubilation quant au retour de l’équipe de Drive et les premières images avaient fini de combler les ardeurs, au point que l’attente en devenait insupportable. Avec Only God Forgives, NWR revient à un cinéma plus indépendant et prend à contre-pied les nouveaux fans du cinéaste.

You wanna fight? comme dirait Ryan Gosling. C'est un peu ce que sous-entend NWR à son public, qui s’apprête à être malmené par l'ampleur de son dernier long-métrage. Only God Forgives est un véritable uppercut en pleine face. Un retour au cinéma danois cru et violent de Refn. Qu’il plaise ou non, il est question ici d’un film qui ne peut laisser insensible et dont la perplexité marquera les esprits. NWR a laissé son émotion et sa sensibilité, acquises sur Drive, de côté pour construire un long-métrage déconcertant où se mêlent les thématiques les plus osées, de la violence à la religion en passant par le sexe, l'impuissance ou la famille.

L'intrigue est certes minimaliste mais il n’en oublie pas d’approfondir la psychologie de ses personnages et la forme visuelle. En conférence de presse, NWR déclarait vouloir réaliser un film autour d'un personnage qui se prend pour Dieu, d'un homme qui veut le devenir et d'une relation mère-fils mouvementée. Le film est ainsi traversé par un ensemble de symbolique qui font de ce long-métrage, une œuvre presque spirituelle. Cet affrontement entre Julian (Ryan Gosling, volontairement inexpressif) et Chang (Vithaya Pansringarm, divinement subtil) est tellement appuyé que le Mythe de Babel crève l'écran. Une représentation contemporaine teintée d'ultra-violence où l'un est un dieu et l'autre, frustré, cherche à le devenir. Car Julian est un frustré. Impuissant avec les femmes, humilié par sa mère, échouant tous ses combats, paranoïaque et se sentant en permanence moqué par les autres, Julian est attiré par la figure mystique dégagée par Chang. Une figure mystique proche d'un Juge spirituel. Il laisse la possibilité à chacun de choisir leur destin, en faisant face à leurs actes. Un état d’esprit mystique que l’ego des occidentaux du film ne peut comprendre. Ces derniers préfèrent s’affirmer comme des conquérants dans une région asiatique où ils ne sont pas les bienvenus. Chang semble être chargé de remettre les pendules à l'heure au sein des mortels. Chaque séquence est pour Chang l'occasion d'appuyer sa divinité. Les plus folles étant celles où il est sur scène, interprétant un morceau de karaoké devant un public composé par l’ensemble de ses collèges policiers. Ces derniers l'écoutent avec une attention religieuse soutenue et paraissent être des disciples. Les morceaux qu’il réinterprète sonnent comme des prières. L'image extrêmement symbolique marque à nouveau l'empreinte d'un réalisateur soucieux de représenter ces fondements divins dans une époque et une contrée contemporaines. L'ultra-violence qui anime ces personnages se caractérise par le malaise permanent de ces derniers à s'exprimer avec les mots. Only God Forgives est ainsi traversé de longs silences qui expriment un manque de communication et de compréhension. Seule la violence semble être une forme de langage naturel et limpide. Ajouté à cela des images et sons sensoriels, et l'expérience de Only God Forgives pourra paraître presque hallucinatoire, tant les nuances de rouge, de bleu, de jaune et de noir s’entremêlent.

C'est un film qui transpire également l'amour de ses pairs, et notamment de Luis Buñuel dans une scène brute où un œil est sectionné en deux. A la manière de Un Chien Andalou (1929), NWR demanderait presque à son auditoire de changer son regard sur le monde qui l'entoure, sur l'art en général et certainement son film, qui casse les codes et se pose comme une œuvre plus esthétique et artistique qu'une œuvre grand public. Certains ont repensé à son Valhala Rising : Le Guerrier Silencieux (2009) pour ses longs moments contemplatifs et une violence rarement voilée. D'autres le comparent à du Gaspar Noé. Il faut désormais voir en NWR un cinéaste unique, dont l'intelligence et la méticulosité sont à l'origine d’œuvres qui ne peuvent laisser indifférentes.

Sorti de tout contexte, Only God Forgives peut effectivement paraître superflu, grossier et clinquant. Mais dès lors que les intentions du réalisateur se révèlent au spectateur, alors l’aura artistique du danois semble plus accessible. NWR revendique être un pornographe, de la même manière que Lars Von Trier, au cinéma, c'est ce qui l'excite qui compte. Et avec cette phrase, il met en avant les pulsions les plus viscérales de l'homme où le sexe et la violence ne font qu'un, où le rouge encadre chaque plan et confère une ambiance oppressante mais étonnamment captivante. Une esthétique presque hypnotique où chaque plan est un véritable tableau, empreint de l'identité du cinéaste danois.



Only God Forgives avait, a et aura ses détracteurs. Il faut dire que certaines séquences semblent totalement gratuites de violence. Beaucoup à la projection de Cannes ont taxé l'esthétique visuelle du film de tape-à-l’œil. Il est vrai que la séquence impliquant le retour aux entrailles de Crystal (épatante Kristin Scott Thomas), la mère de Julian, peut sembler totalement grossière et gratuite. C’est Ryan Gosling qui avait exprimé ce désir instantané de réaliser une telle scène. NWR l'avait suivi dans cette hystérie exaltante et au final, il s’agit de la séquence la plus troublante du film. Adhérer à l’approche et la mise en scène du cinéaste danois, c'est être volontaire pour participer à une expérience esthétique, radicale et psychologique qui n'aura pas fini de vous hanter. Les zones d'ombre s'éclaircissent sur les conditions de production du film notamment sur le refus de studios américains de participer au financement du film ainsi que de l'absence de maisons de production, afin que NWR ait une mainmise totale sur son long-métrage. Une absence totale de long métrage formaté qui mérite d’être souligné.

Only God Forgives sera très certainement l'objet hallucinatoire et controversé de cette édition du Festival de Cannes. Punk, il ne l'est assurément pas mais radical à coup sûr. Un tableau expressionniste d'une heure trente qui vous fera vivre une expérience sensorielle unique où se mêlent les figures divines, les pulsions de violence et de sexe. Oui, Nicolas Winding Refn est sans doute un pornographe, et les thématiques taboues qu'ils projettent à l'écran peuvent secouer. Mais il représente ces pulsions comme le propre de l'homme, et combinées à sa mise en scène graphique, le résultat n'en est que plus envoûtant. Cannes ne le lui pardonnera peut-être pas mais beaucoup sauront rentrer avec délectation dans ce long-métrage. Cinéaste inspiré, Refn confirme avec ce film mystique qu’il manipule le son et l’image comme un véritable artiste du Septième Art. Fascinant.

Créée

le 24 mai 2013

Modifiée

le 24 mai 2013

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Kévin List

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