Umberto Lenzi, esthète du cinéma d'exploitation rital, celui qui s'est frotté à tous les genres, ne pouvait évidemment point échapper au ras de marrée des poliziotteschi. Il nous livre ici ce qui se limite non pas à de la belle ouvrage mais à de la bonne ouvrage. Cet opus, souvent tenu comme un classique du genre, serait plutôt - du moins à mes yeux - à ranger dans le rayon des bons exemples de ce que pouvait être, certes, un bon neo-polar italien mais sans jamais, néanmoins, transcender le genre.


Symptomatique du cinéma d'exploitation, voici un film qui ne me marque pas après son visionnage, la faute à son caractère trop sage en comparaison avec d'autres volets du genre qui, s'ils sont peut-être encore moins bons, demeurent cependant assez foldingues pour avoir impressionné ma rétine pour perpet'.


Lenzi jouit du plaisir - que l'on peut aisément subodorer immense - de mettre son histoire en scène via le format du cinémascope. La ville de Naple étant mise à l'honneur, embrassée langoureusement par des collines, une mer splendide baignée d'un soleil de plomb, une cité qui s'etend de tout son long, voila le terrain de jeu idéal pour un cadre en 2:35. Cependant, Lenzi filme en cinémascope comme il filmerait en 16/9, voire même en 4/3. Il ne tire aucun profit de la majestée de son format, il se contente de capter, caméra à l'épaule, les pulsations alertes de cette ville rythmée par des scènes d'actions jamais assez vigoureuses pour réellement piquer ma curiosité. Ses plans ne sont pas composés de façon à étendre toute la ville dans son cadre. Les personnages évoluent dans cette agglomération sans grand mouvement, platement mise en image. La seule séquence qui tire son épingle du jeu est celle où la caméra est embarquée sur une moto qui parcourt les boulevards et les rues tortueuses et napolitaines en un temps record. Là, oui, la scène vaut d'être vue. Lenzi a réussit à la rendre impressionnante. Du fait qu'ils aient tourné sans autorisation et que l'on soit lancés sur cette moto en plein centre de ville de Naples nous immerge dans un cadre et une excitation que j'ai apprécié avec délice ! Et puis mon plaisir s'est gâté lorsque j'ai remarqué que, pour les dernières secondes, Lenzi a artificiellement accéléré le rythme de la course, ce qui a fatalement ôté tout le caractère vraissemblable de la scène et l'a donc déshabillé, à mon humble avis, de tout son intérêt. Ce qui me plaisait, c'était l'aspect kamikaze de la séquence, sa véracité, cette équipe de cinoche assez foldinguo pour lancer une moto à une si vive allure dans les rues de Naples. J'etais embarqué dans la scène, j'avais des frissons en voyant les risques pris au milieu des piétons ahuris et des automobilistes en panique...
Et malheureusement, ce n'est pas tout, ce long-métrage est également cochonné par deux autres séquences d'action qui louchent honteusement sur celles qui ont fait la gloire d'un film français fraichement sorti à l'époque : Peur sur la ville, pièce maîtresse du cinéma d'action hexagonal, qui puisait d'ailleurs son énergie autant dans les polars italiens que dans leurs gialli. Simple retour des choses pourrai-je penser mais que nenni ! En effet, nous suivons notre acteur principal, l'iconique Maurizio Merli dans le role, qui ne l'est pas moins, du commissaire Betti - que l'on retrouve dans bon nombre de néo-polars ritals - poursuivant un malfrat sur les toits de la cité. C'est d'ailleurs cette séquence qui nous fait regretter le manque de temps alloué à Lenzi qui ne peut donc pas filmer la ville en exploitant le cinémascope à bon escient, avec de magnifiques spots qui auraient pu mettre en valeur ces personnages défiant les lois de la gravité, surplombant la ville, évitant donc ses règles, la bafouant, lui faisant la nique en passant là où ne doit pas passer. L'urgence de certains tournages dans autorisation peut provoquer des séquences où l'on ressent la tension de l'équipe sur le pellicule, notamment pour ce genre de scènes d'action. Or, la mise en scène est malheureusement peu inspirée, nous sommes bien loin de la tension mise en scène par Verneuil et des cascades impressionnantes de notre insurpassable Bébel sur les toitures parisiennes.


Mais là où la comparaison entre les deux opus fait réellement mal, c'est à l'occasion de la scène du funiculaire. Dans Peur sur la ville, le personnage de Belmondo traquait un malfrat dans le métro, allant jusqu'à sortir de la rame, grimper sur le wagon en pleine course et courir sur les toits, alors que le métro devenait aérien et se retrouvait lancé à vive allure sur le pont Bir-hakem. Scène mythique. Ici, Maurizio Merli fait de même sauf qu'il n'est pas debout, il ne fait que ramper sur un funiculaire qui roule... à 10 km/h à tout cassé. Cascade également exécuté par l'acteur principal, j'apprécie l'investissement de celui-ci mais force est de constater que nous sommes bien loin de la sensation de spectaculaire que nous proposait le duo Belmondo/Verneuil. Ici, tout est tellement ralenti, avec ce lent, très lent funiculaire qui ne roule par sur un pont comme le métro de Peur sur la ville mais à côté de la route, et ce héro qui ne rampe pas plus vite qu'un escargot, nous avons presque l'impression de subir une parodie dudit long-métrage... Pourtant, les italiens nous ont habitués à pousser les potars au maximum, quitte même à sombrer dans le ridicule, tant pis tant que le spectateur en a pour son argent. Ce n'est étrangement pas le cas ici et je le regrette énormément.


Lenzi sait pourtant mettre en scène des scènes de tension et de violence marquantes. Le personnage du "Vilain" est par exemple magnifiquement bien caractérisé quand il prend un mec pour le tuer dans son bowling, en lui faisant maintenir la tête par ses sbires contre la piste tandis qu'il veille à bien lui envoyer une boule en pleine tronche. Champ, contre-champ efficace, avec le zoom avant sur le visage du vilain qui tire, caboche qui éclate hors-champ... Tout est savamment dosé afin que le spectateur en ait pour son ticket de cinéma et ce même à menu frais. Cependant, plutôt que d'apparaitre au début du film, afin de caractériser au mieux ce personnage de pourri qui ne recule devant aucune violence expéditive afin d'asseoir son autorité, elle apparait seulement dans le dernier tiers du film...! Une scorie scénaristique qui aurait pu être éviter et donner plus de crédit à la mise en scène de ce petit film qui s'inscrit dans une lignée d'autres long-métrages qui, quant à eux, peuvent tirer leur épingle du jeu grâce à leur folie, leur essence jusqu'auboutiste, ce qui manque cruellement à ce long-métrage donc bien trop sage. Dans d'autres opus du genre, comme Assaut sur la ville, les scènes d'agression sont bien plus virulentes, le rythme est bien plus soutenu et pourtant, objectivement, le film est moins bon mais sa folie, sa grandiloquence est si cathartique qu'il largue sur le bord de la route cette Opération casseurs ou bon nombre de fois, je m'attendais à du "sale" et il y en avait des opportunités pour le faire mais ce long-métrage demeure cependant toujours trop lisse et n'essore jamais la violence de son contenu jusqu'à la dernière goutte.


Nota bene : le succès du film influencera les prochains films du genre. Ainsi, on retrouvera le personnage de l'enfant, qui gagnera en importance, dans Assaut sur la ville par exemple, avec une scène finale similaire bien plus fataliste, ce qui ne sera malheureusement pas le cas ici et qui me déçoit donc grandement. Je note que le genre du néo-polar italien fonctionne comme un véritable écosystème, avec ses mêmes acteurs, ses mêmes décors, ses mêmes personnages. En voir plusieurs à la suite peut provoquer un embrouillamini dans nos souvenirs, nous amener à ne plus se rappeler à quel film correspond telle scène... C'est pour cette raison que SOS Jaguar opération casseurs se noit dans la masse tandis qu'un Assaut sur la ville, par exemple, m'a contrairement marqué grâce à ses nombreux morceaux de bravoure.

ThibaultDecoster
6

Créée

le 19 nov. 2021

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