Piégée à l'intérieur
5.3
Piégée à l'intérieur

Moyen-métrage de John Carpenter (2007)

"Pro-Life" se concentre sur une clinique d'avortement qui reçoit une patiente en situation d'urgence (interprétée par Caitlin Wachs) dont la grossesse résulte


d'un viol démoniaque.


La jeune femme désespérée souhaite avorter. Le bébé commence à grandir à un rythme alarmant, une offense à la nature et au puritanisme patriarcal de son père Dwayne, gourou Pro-Life local, qui va assiéger la clinique avec ses fils pour empêcher sa fille d'accoucher.


"Pro-Life" est un film mal-aimé qui parle de la difficulté à procréer dans un Monde de contraintes fanatiques, nous invitant à réfléchir sur des choix déchirants et des conséquences bien au-delà de l'écran.


Ce qui est contre la nature dans le film n'est pas le fait d'avorter, c'est le contexte qui enferme les gens dans des choix et des voix qui ne sont pas les leurs.



Difficile Fécondité


Le film semble une réponse lointaine de "the Thing".


A nouveau film médical, celui-ci est peuplé de médecin dans un décor de clinique. On retrouvera également à la fin une génération de créature qui fait filiation entre les 2 films.


Toutefois, alors que "The Thing" explorait la stérilité du monde, "Pro-Life" plonge dans une triste réalité. Le monde n'est pas stérile ; il permet la reproduction. Cependant, créer, donner la vie, devient un acte empreint de danger et de choix. C'est prendre un risque, une épreuve, où parfois, la création elle-même aurait préféré ne pas exister.


Faire un film est une épreuve et le rejeton, parfois, ferait mieux de ne pas être.


Dans un acte presque littéral d'accouchement cinématographique difficile, John Carpenter semble mettre au monde laborieusement un film de qualité moyenne. La naissance de cette œuvre s'avère complexe en raison des conditions même de sa production.


Il est difficile de donner la vie :

  • Quand on est pauvre
  • Quand on y est contraint
  • Quand on sait qu'on a un entourage de merde pour accueillir le bébé

Pour autant il reste des qualité plastiques de pur cinéma dans cet épisode des "Masters of Horror" et on retrouve la patte du cinéaste si on regarde le film sérieusement :


Des idées frappantes émergent, comme l'arrivée puis l'attente du camion rouge au pare-brise noir, statique comme un plan caractéristique de Carpenter. Il devient la menace qui capte l'attention, créant un point focal dans l'image toujours décadré, parfois un peu flou, amorçant l'étrangeté qui teinte le film.


Le concept du film en tant que siège est brillamment exécuté, atteignant son apogée avec un coup de feu en pleine tête parfaitement exécuté : à la fois surprenant, suffisamment gore et superbement cadré à bonne distance. L'approche de Dwayne et de ses fils jusqu'aux portes de la clinique constitue également une réussite incontestable, méritant d'être saluée. De même, une fois à l'intérieur, les champs contrechamps pendant la fusillade sont jolis avec ces aplats de orange qui s'opposent aux murs bleus.


Comme dans les autres films de Carpenter, le problème vient du Déjà-Là. Il préexiste. Quand on entre dans le film, l'héroine est déjà enceinte, Dwayne est déjà un chef de clan fasciste, la cinétique exerce déjà et la situation politique des Etats-Unis ainsi que son retour du religieux via une Alt-Right en pleine Renaissance est connue de tous.


Le sujet que prend John Carpenter ne va donc pas être de tenir un plaidoyer mais, comme à son habitude, de poser la question de comment, en tant qu'être humain, tenir la position la plus digne au milieu de ce conflit dont on hérite.


De même on va retrouver quelques petits trucs déjà traités dans "Prince Of Darkness" : l'antagoniste étant littéralement un agent d'inversion. Ce qui est intéressant car ici le méchant lui-même, Dwayne, accuse justement les autres d'invertir les valeurs naturelles. Il se déclare Pro-Life car il considère que ses opposants sont des Anti-Life.


Or, dans les faits, c'est bien Dwayne qui inverti les choses : il torture au nom de l'empathie.

Il est l'antéchrist. Et la scène gore ou il "avorte" le médecin lui-même est elle-même une inversion : dans le cadre on dirait qu'il l'encule mais on voit qu'il n'e s'ait pas tant d'une pénétration que d'une extraction : il le vide de l'intérieur.


Et Carpenter va lui opposer donc des héros dignes et courageux, le patron de la clinique en premier lieu.


En somme, malgré les défis de sa gestation, "Pro-Life" n'est pas dénué de moments cinématographiques remarquables qui méritent d'être reconnus. Il s'agit donc de comprendre pourquoi elle semble si pauvre au regard de ses films précédents.



Pauvreté


Faut le dire, miskine le film il sent la deche.


Dès le début c'est cheapos. Le film démarre avec des Stock Shots, ce sont des plans récupérées de banques d'images (Getty Image ici de mémoire), c’est-à-dire que ce n'est pas l'équipe du film qui a filmé ce dont elle avait besoin mais qu'elle a acheté des bouts de films déjà existants pour pas cher afin de produire ce contenu.


On enchaine avec des décors à l'intérieur de la clinique similaires à une sitcom de qualité médiocre. L'accueil, par exemple, se résume à un coin de studio peint en bleu, mal assorti avec le contrechamp de la salle d'attente.


On notera aussi des ralentis extrêmement laids où l'on capte qu'il s'agit d'un effet de montage réalisé a postériori afin de tenir un peu les scènes foireuses plutôt qu'un effet pensé au tournage et donc tourné à la bonne fréquence d'image / une caméra adaptée.



Contrainte



De même que les contraintes budgétaires, le scénario s'impose également à John Carpenter, dictant les contours de sa création. Les problèmes de scénario émergent lorsque les fils de la famille Dwayne se retrouvent avec un objectif initial clair et glacial : récupérer leur fille pour empêcher son avortement. Cependant, cette détermination initiale s'efface au moment où le scénario atteint un point de stagnation.


Quand la fusillade se calme, chacun campant sur sa position et qu'un dialogue entre le médecin et le gourou fanatique s'instaure.


À ce tournant crucial, si le dialogue est intéressant, toujours très économe chez Carpenter on y capte plein de tensions en peu de mots, mais la focalisation du commando fasciste sur le but premier s'estompe, laissant place à une nouvelle orientation : infliger des "punitions" au médecin qui dirige la clinique.


C'est aussi à ce moment que Dwayne déraille un peu vite sur le fait de suivre la voix du diable.


Le sujet de suivre sa voix intérieure est un beau sujet de "Enfermée à l'intérieur". La figure du héros chez Carpenter c'est justement celui qui, par une capacité profondément individualiste à se concentrer sur son "moi" profond" arrive à en ressortir un comportement digne et droit.


Chez Dwayne, le constat que pose le film c'est que Dwayne est dupé par la voix du Diable lorsqu'il croit entendre celle de Dieu. Mais il faut voir cette situation comme une ironie et non une tragédie : Dwayne a de toute façon commis un pécher originel qui est celui de ne pas écouter sa propre voix mais celle d'un autre.


Ni dieu ni maître : A partir du moment où entend des voix, comme savoir si c'est dieu ou le diable ? La solution, c'est de les envoyer se faire foutre.



Paternité


Sous ce décor plat (pas un escalier), le diable se terre dans les profondeurs.

Les entrailles de la terre viennent féconder les entrailles de la fille.


Ainsi le concept du film de Siège est aussi exploré au-delà de l'horizontalité par ce qui menace par en-dessous. Cette construction de l'espace classique A l'intérieur / a l'extérieur va réduire progressivement la safe space à une sorte de bulle ou le danger englobe et ne fait pas qu'entourer.


Comme si les personnages eux-mêmes se trouvaient dans une bulle de liquide amniotique protecteur et profané.


Qui profane dans l'histoire ?


Le problème ce sont les pères.

Comme Jack Crow (Vampires) et John Nada (They Live), il faut les buter. Le héros se doit d'être parricide.

Premier père de merde évident : Dwayne, avec ses fils rendus tarés (en premier lieu son disciple qui un bon air de Vincent Lacoste). Second père de merde, celui qui oblige sa fille à avorter.


Et ici, le pire des pères c'est Satan qui se révèle à la fin.


Pro-Life n'est pas un film de merde, c'est une production moyenne pour une télévision médiocre. John Carpenter le sait. Il assume sa difficile paternité en essayant de ne pas être un gros fumier illuminé. Il essaie d'être le moins pire père possible pour ce petit film boiteux.


A la fin, Dwayne, devenu grand-père du bébé démon, accepte la mort potentielle de sa fille pour la survie du bébé. Celà qui signifie qu'il décide qui vit et qui meurt entre les deux. Là où la métaphore du film trouve sa force la plus percutante, c'est dans la déconstruction de l'idée même de "pro-vie". Carpenter démêle habilement chaque fil narratif et unit chaque arc de personnage pour illustrer qu'en réalité, il n'y a pas de position tranchée en faveur de la vie. L'acte de création de la vie, dans n'importe quel contexte, repose sur le concept fondamental du choix. Dans les situations où une grossesse peut mettre en danger la vie de la mère, un dilemme se pose, nécessitant un choix déchirant entre la vie et la mort.



Le choix ou le Fanatisme



La dichotomie entre "Pro-Life" et "Pro-Choice" trouve un écho dans la clinique d'avortement, lieu très concret où l'on peut faire des choix. Cependant, le film suggère que le choix, tout en offrant une liberté apparente, peut également être une forme d'emprisonnement. La discussion entre le directeur de la clinique et Dwayne met en relief leurs croyances divergentes, qui les conduisent à une impasse dramatique, une situation d'affrontement où personne ne pourra sortir indemne.


La liberté c'est choisir. Chaque choix nous enferme dans une voie. C'est une définition assez simple et rigoureuse de ce que l'on appelle le libre arbitre.



"Enfermée à l'intérieur" présente 2 jeunes femmes, confrontées à la même situation dans la clinique. elles représentent chacune un choix différent dans une situation similaire, au même moment, dans le même lieu. Il y celle qui vient se libérer, une autre ici de force par son père. Le film souligne ainsi que la seule chose qui sépare leurs 2 situation, c'est le choix. Il fait qui fait toute la différence entre une libre disposition de son corps et une mutilation imposée.


Tous les personnels de la clinique, ceux qui accompagnent dans le choix des patientes sont courageux a leur manière. Ils assurent tous, avec plus ou moins de bravoure, le choix.


C'est tout le problème de John Carpenter. Pourquoi fait-il ce film ?

Est-ce son choix ou juste son métier ? "Pro-Life" est-il un film nécessaire, et si oui dans quelle mesure ?


J'ai l'impressions que ce sont justement ces questions que le film travaille.


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Filmo de John Carpenter :

Dlra_Haou
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Créée

le 5 déc. 2023

Critique lue 19 fois

Martin ROMERIO

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