Attention ceci est un film de Hélène Cattet et Bruno Forzani, les réalisateurs de Amer, L'étrange couleur des larmes de ton corps, et Laissez bronzer les cadavres. Il faut y être préparé, parce que Reflet dans un diamant mort est totalement dans le même style et que ça déroutera ceux qui cherchaient juste un pastiche sympa de James Bond ou Diabolik.
Il faut savoir que ces réalisateurs n'ont généralement pas grand chose à fiche de raconter correctement une histoire. Pas seulement parce qu'ils peuvent se montrer opaques (L'étrange couleur des larmes de ton corps), mais aussi parce qu'ils n'ont aucun scrupule à sacrifier la narration pour virer des passages qui ne les intéressent pas (Laissez bronzer les cadavres, adaptation du roman de Jean-Pierre Bastid et Jean-Patrick Manchette, dont la lecture permet de réaliser à quel point le film se rend inutilement confus sur ce qui s'y déroule, au point de carrément bâcler sa fin). Leur dada c'est : déjà rendre hommage à leurs genres favoris, notamment le giallo dans tous leurs films et ici les films d'espionnages européens des années 70 (ainsi que Diabolik, de manière très évidente). Tout ce qui est film de genre italien de l'époque est leur came, attendez vous à beaucoup de mélanges d'horreur et d'érotisme, notamment des corps nus tailladés. C'est appuyé autant par l'ambiance que par des références de mise en scène, ce qui pourrait les rapprocher d'un Tarantino s'ils étaient portés sur les dialogues ou juste une quelconque intrigue. Ce n'est pas du tout le cas, eux ce qu'ils aiment c'est la mise en scène et surtout le sensitif.
Chaque plan de leurs films est là pour traduire ce que ressent un personnage à un instant donné, quitte à ce que l'on galère à se situer faute de plan large (j'ai toujours Laissez Bronzer[...] dans le fond de la gorge). Les cadres sont souvent très serrés et enchaînés rapidement pour passer d'une sensation à une autre, les bruitages sont tous refaits en studio et exagérés pour bien nous donner l'impression de caresser soi-même le cuir, et les coups de scalpels sont nombreux et fétichisés dans 3 films sur 4. L'ambiance est souvent hallucinée avec des personnages qui deviennent fous pour que la mise en scène s'en donne à cœur joie dans le kaléidoscope et les filtres colorés. Poussé à l'extrême, ça donne L'étrange couleur[...] qui vire à l'assemblage de saynètes comme autant d'exercices de mise en scène, le scénario fil rouge faisant office de labyrinthe mental nébuleux pour justifier de passer d'un cauchemar à autre, laissant souvent le spectateur sur le carreau faute de comprendre où tout ça peut mener.
J'ai personnellement souvent changé d'avis au sujet des réalisateurs, tantôt fasciné et tantôt très agacé par leur repli sur eux-même autosatisfait, mais malgré tout je continue de regarder leurs films parce que la curiosité est beaucoup trop forte. Reflet dans un diamant mort est pour l'instant l'un de leurs plus aimables (en attendant que je change encore d'avis au revisionnage), et pourtant on peut difficilement dire qu'Hélène Cattet et Bruno Forzani aient fait des concessions sur leur style. La photographie de Manuel Dacosse est toujours à tomber par terre, ça ne change pas. Plage de la côte d'azur baigné d'une lumière chaude, générique bondien stylisé en ouverture, plan sur des diamants qui brillent exagérément sur le corps d'une femme comme la mer brille au soleil, il n'y a pas à dire on se rappelle vite ce qu'on aime chez ces deux là. Le film enchaîne les beaux plans métaphores, chaque seconde est une découverte. On comprend également qu'on va rester sur un principe de saynètes avec en fil rouge la potentielle folie du personnage principal, comme dans L'étrange couleur[...] donc. Mais ici ça passe bien mieux j'ai trouvé.
L'idée est que l'on suit un ex-espion devenu âgé qui se rappelle ses missions précédentes. Il commence à craindre que ses anciens ennemis ne soient de retour pour lui faire la peau, notamment l'insaisissable Serpentik, version féminine de Diabolik qui l'obsède affreusement. Chaque coup d’œil sur un décor sera l'occasion pour lui de se rappeler une aventure passée plus ou moins en lien, dans un ordre bien à lui, engendrant une narration éclatée. Cela rend la progression tout aussi hachée que dans L'étrange couleur[...], mais d'une manière qui est mieux justifiée puisqu'au lieu de simplement empiler les visions étranges on pourra reconstituer le puzzle qui constitue cet agent, bien moins valeureux que ce que nous vendaient les films d'espionnage d'antan. Sans doute aussi que le pastiche de James Bond me parle bien, mais le fait que l'enjeu des scènes individuelles soit plus clair (dans un premier temps...) accroche un peu plus facilement le spectateur, avant que ça ne devienne le bazar dans la tête de notre agent et dans la notre.
Ces saynètes sont souvent déconnectées les unes des autres mais se montrent assez plaisantes dans leur pastiche. Qu'il s'agisse d'une bagarre débilement violente, d'une séance de torture kaléisdoscopique, d'une agression mentale psychédélique ou d'un brusque changement de format, on a de quoi se nourrir. Il y a néanmoins une certaine répétitivité qui se fait autour de quelques motifs, notamment la fétichisation des coups de scalpels dont on a déjà bouffé dans Amer et L'étrange couleur[...] et qui revient très souvent, parfois de manière forcée (j'accepte beaucoup de libertés dans un scénario, mais les hommes de main en costard qui se battent au scalpel...). On a également un certain "effet" sur Serpentik qui marche bien les premières fois, rappelant les idées pulp délicieusement abusées des BD d'époque, et qui colle avec l'idée que notre espion ne peut que courir après une chimère, mais qui devient longuet à force de se présenter à chaque occasion.
Je dois quand même dire que si la progression scénaristique continue de me paraître laborieuse à force d'enchaîner les rêves, les hallucinations et les souvenirs désordonnés, j'ai bien mieux saisi ou en tout cas apprécié la folie qui se manifeste. Peut-être parce que les saynètes paraissent moins dissociées de l'intrigue globale, ou que la démarche de mélanger le souvenir et le fantasme jusqu'à ne plus les différencier est mieux présentée. Le fait est que la confusion m'a parue mieux utilisée ici que dans L'étrange couleur[...] qui finissait par s'enfermer dans ses vagabondages, même si ça reste un peu trop long et lassant pour son bien. Sans doute aussi que la manière de rendre hommage à ce cinéma bis italien, si elle parle peu au profane que je suis, est finement opérée et se permet de remettre à jour la figure de l'agent secret, déifiée fut un temps et ramenée ici à son statut de brute aliénée au service d'un gouvernement criminel. Là où Tarantino se languit dans ses films d'un passé fantasmé en mettant de côté toutes les saloperies des coulisses, Hélène Cattet et Bruno Forzani se réapproprient une imagerie pour mieux mettre en avant une décadence et le pathétique de s'enfermer dans ses gloires et obsessions passées comme un Johnny Weissmuller.
Il ne reste plus qu'à espérer qu'ils appliquent cette leçon à leur cinéma, parce que la récurrence de certains de leurs motifs commence à les rapprocher de leur personnages. Mais pour l'instant j'ai trouvé leur Reflet dans un diamant mort plus supportable à suivre que leurs dernières œuvres et que leurs films demeurent suffisamment rares et riches en idées pour que je continue de les suivre. À voir s'ils vont faire leur Wes Anderson à reproduire le même schéma de film en film en changeant juste le décor ou le genre pastiché (des coups de scalpel dans la planète des vampires ?), ou s'ils vont se trouver d'autres manières de rendre leurs hommages.