le 12 nov. 2025
Cours, Glen ! Cours !
Quel plaisir de retrouver Edgar Wright dans un univers dystopique aussi barré ! On savait que l’adaptation de Running Man était l’un des projets majeurs du réalisateur, qui lui tenait...
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Il y a, dès les premières minutes du Running Man d’Edgar Wright, cette manière singulière de vous saisir par l’image avant même que le récit n’ait véritablement commencé ; comme si le réalisateur, fidèle à son goût pour les rythmes serrés et les éclats visuels, posait d’emblée son monde tel un décor trop brillant pour ne pas cacher quelque chose. Dans cette nouvelle adaptation du roman de Richard Bachman — que le film ne cite jamais, mais dont l’ombre plane comme une conscience du danger —, Wright ne cherche pas la simple modernisation : il semble vouloir nous tendre un miroir, non pas pour nous montrer un futur effrayant, mais pour nous révéler ce que le présent contient déjà de redoutable.
Alors, tout se met en place avec une évidence troublante. Ce jeu télévisé où des êtres humains deviennent des proies n’a plus rien de fantastique ; il ressemble plutôt à l’aboutissement logique d’une époque qui préfère l’émotion instantanée à la pensée, la violence réglée à la complexité du réel. Les écrans se superposent aux écrans, les regards s’empilent comme des strates de voyeurisme, et l’on a cette sensation, presque étouffante, que le spectacle a fini par absorber toute possibilité de silence intérieur. Wright filme cela non pas avec colère, mais avec une sorte de lucidité mélancolique : il ne dénonce pas, il observe.
Glen Powell, dans le rôle de Ben Richards, porte ce monde sur son visage comme un poids ancien. Ce n’est pas seulement un homme traqué : c’est un homme qui semble s’être perdu dans le récit qu’on écrit à sa place. Il avance avec cette hésitation propre aux personnages qui savent qu’ils ne contrôlent plus la manière dont ils seront perçus, et qu’il leur reste une unique bataille, la plus fragile : celle de conserver, malgré tout, un noyau de vérité personnelle. Dans plusieurs scènes, un simple mouvement de ses yeux suffit à suggérer cette fatigue morale, ce doute profond sur la légitimité de se battre quand l’ennemi n’est pas un adversaire, mais une mise en scène.
Face à lui, Josh Brolin compose une présence presque sacerdotale. Il n’est pas seulement un producteur cynique ; il est l’architecte d’un monde qui croit fermement à sa propre logique, comme un officiant sûr de ses rituels. Chaque mot qu’il prononce semble calibré pour nourrir le spectacle, chaque geste pour maintenir l’illusion que tout est sous contrôle. C’est peut-être là que le film touche le plus juste : dans cette confrontation entre deux hommes, l’un cherchant désespérément à rester humain, l’autre convaincu qu’il ne reste de l’humanité que ce que l’audience peut absorber.
Et pourtant, au milieu de cette mécanique implacable, il existe des instants de fragilité qui trahissent la main d’Edgar Wright. Des moments où le tumulte se retire, où un visage apparaît dans toute sa nudité, où le bruit des machines semble soudain trop distant pour effacer la dignité d’un personnage. Ces secondes suspendues, presque volées au chaos, donnent au film une profondeur inattendue ; elles suggèrent que la véritable rébellion n’est peut-être pas dans l’action, mais dans la persistance intérieure d’un sentiment que rien ne peut écraser.
Les chasseurs lancés contre Richards, figures grotesques et stylisées jusqu’à la caricature, paraissent d’abord n’être que des excroissances du spectacle ; mais en les observant, on se surprend à reconnaître des fragments de notre propre époque : influenceurs armés de slogans, icônes marketing devenues monstres, masques publics qui ont oublié le visage qui se trouvait dessous. Wright n’insiste pas : il montre, et c’est suffisant.
À la fin, lorsque les dernières images se succèdent comme autant de pulsations, on quitte la salle avec ce sentiment ambigu que seuls les films les plus lucides parviennent à produire : l’impression d’avoir assisté à un divertissement d’une précision remarquable, tout en ayant été renvoyé, presque malgré soi, à notre propre participation à une culture qui dévore ce qu’elle prétend célébrer. On ne sait plus exactement si l’effroi vient du film ou du monde qu’il décrit. Peut-être des deux.
Créée
le 19 nov. 2025
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