le 10 nov. 2025
Die hard with a vengeance
Les lumières ne sont pas encore éteintes que le masqué est soudain pris d'un doute affreux, après avoir longtemps anticipé son moment de félicité. Et si Mamoru Hosoda le décevait ? Et si son dernier...
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Je pense que Mamoru Hosoda est mon réalisateur préféré sous pleins d'aspects. Que ce soit le fait que je n'ai pas vu un seul mauvais film de sa part (parmi les films de sa filmographie que j'ai vu jusqu'à présent, il me manque juste Summer Wars, One Piece : Le Baron Omatsuri et L'île aux Secrets ainsi que ces différents courts métrages sur l'univers Digimon), ou encore le fait que je suis profondément touché par sa démarche et son approche des rapports humains, le cinéma de Mamoru Hosoda a été une découverte très importante pour ma cinéphilie et il me tardait de découvrir la nouvelle création du maitre. Malgré que je puisse revoir le film à la baisse, je ressens un profond respect pour Belle, son dernier film qui souffre d'avantage du comparatif avec ces précédentes productions (Ame et Yuki les enfants loup ou encore la traversée du temps) qu'un véritable ratage comme on peut l'entendre à demi mot chez certains qui ne jurent que par Miyazaki. Pourtant, il faut reconnaitre que, mis à part le miracle Miraï ma petite soeur, les films de Mamoru Hosoda ont eu tendance à diluer la force brut qui fait le charme du réalisateur, notamment avec Le garçon et la bête qui, quoi que très sympathique, créé presque une redondance avec Ame et Yuki les enfants loup. Il était alors étonnant de voir Mamoru Hosoda s'attaquer à la medieval fantasy dans un registre qui semblait plus sombre et violent que d'habitude. Malheureusement, les premiers retours de sa projection à la Mostra de Venise, ainsi que les premiers visuels du personnage principal (quasi ersatz de Suzu dans Belle en plus brutale), pouvaient présager du pire, la question est maintenant de savoir ce à quoi peut ressembler le pire venant de Mamoru Hosoda.
Dès les premières minutes, on comprend très vite pourquoi le film ne fait pas de consensus car, de par sa démarche, c'est un film qui n'est pas fait pour plaire à tout le monde. Là où l'humanité est mise en valeur par une forme de réalisme dans un cadre qui est fait pour leur apporter du bien être (une ferme reculée dans la campagne pour Ame et Yuki, internet dans Belle, le monde anthropomorphe de Le garçon et la bête...), ici le réalisateur n'hésite pas à écorner l'image de l'humanité pour se rapprocher au plus près de la réalité. A l'image de son héroïne, coincée entre deux mondes, entre la vie et la mort, entre le passé le présent et le futur, le film va pour expérimenter dans son animation pour retranscrire au plus près les liens entre imaginaire et réalité. Il ne sera pas étonnant d'avoir des ciels (rappelant par moment Le sommet des dieux de Patrick Imbert), des décors (notamment les déserts et les paysages de montagne), voire même des représentations de personnages se rapprochant quasiment de la rotoscopie. On est ainsi plongé dans un récit coincé entre deux mondes qui, au final, n’en forment qu’un seul : un monde situé entre fiction et réalité. Afin d’y parvenir, le réalisateur pousse au maximum les techniques de l’animation japonaise, que ce soit en modélisation 3D ou en animation 2D, afin que la frontière soit de plus en plus fine et que l’immersion soit la plus efficace possible. Le souci, c’est que le film joue dangereusement avec ces limites : il propose des plans en rotation, des incrustations de personnages 3D (avec des textures 2D) dans des environnements qui semblent presque en prise de vue réelle tant les détails sont troublants de réalisme, le tout avec des mouvements de caméra très techniques… Inévitablement, le film dérape par moments, mais c’est moins une faute artistique qu’une faute technique. On pourrait reprocher au réalisateur de ne pas recourir à des plans plus simples qui harmoniseraient mieux l’ensemble, mais le résultat obtenu est tellement proche de la réussite que ces maladresses deviennent presque excusables si la technique suivait derrière. C’est de l’expérimental : le réalisateur cherche, tente, explore, et si le résultat est époustouflant de bout en bout, on peut regretter quelques aspérités qui n’aident pas à profiter pleinement des graphismes. Pourtant, à côté de cela, le film accumule les idées brillantes de mise en scène, les tableaux somptueux d’inspiration religieuse voire mythologique, et les scènes bouleversantes qui nouent la gorge tant elles touchent juste. Tout cela est rendu possible grâce à un récit d’une sincérité rare, qui risque de diviser, mais qui place pour moi Scarlet et l'éternité comme l'un de mes films préférés de Mamoru Hosoda.
Comme dit précédemment, le réalisateur n’hésite pas à malmener ses personnages et à présenter les pires facettes de l’Homme, là où il nous avait habitués à embellir systématiquement ses meilleurs traits pour promouvoir une vision utopiste de la vie. C’est un changement de registre et de ton exigeant une rupture nette, qui prend forme à travers une violence exacerbée et des scènes extrêmement graphiques. Contrairement à tout ce qu'il a pu réaliser jusqu'à présent, Mamoru Hosoda n'hésite pas à critiquer l'humain, et avoir une vision très pessimiste de la vie. Si on avait déjà des moments d'injustice et de tragédies, que ce soit la scène du train dans La traversée du temps, le vol d'hirondelle de Miraï (où chaque membre de la famille est amené à vivre des tragédies à leurs échelles), ou même le décès de la mère de Suzu dans Belle, c'était avant tout pour souligner à quel point les imperfections de l'Homme et les drames du quotidien participent construire la beauté du monde tel qu'on le connait aujourd'hui. Cependant, ici, les drames, l’horreur et la violence dépeignent un monde qui souffre, et où l’on n’est pas heureux. À travers son personnage principal, qui débute avec une grande candeur, le spectateur est plongé dans un récit où il apprend à découvrir l’Homme tel qu’il peut être lorsqu’il est le plus méprisable. Malgré les tentatives de Scarlet pour préserver sa vision idéalisée de l’humanité, elle va se prendre de plein fouet la cupidité et la violence des Hommes : la mort de son père, la froideur de sa mère qui va (littéralement) briser en mille morceaux sa vision du monde, ou encore les coups bas de son oncle pour l’empêcher de revenir sur le trône. Il y a notamment une scène, peu après l’exécution de son père, où les soldats du nouveau roi (son oncle) viennent tuer symboliquement toute la naïveté de Scarlet. Ces scènes horrifiques sont proportionnelles à la beauté et à la douceur qui nous attendent lorsque l’humain sera à son meilleur, mais ce portrait lumineux doit être précédé d’un portrait sombre et pessimiste qui pose le contexte dans lequel cette humanité doit exister. Ici, le réalisateur extériorise son mal-être face à un monde qui souffre, qui le fait souffrir, mais auquel il offre malgré tout les clés pour aller de l’avant. L’horreur et la haine prennent la forme d’un dragon rappelant la figure de Godzilla, dont l’immensité est impossible à filmer par la caméra, et dont les attaques relèvent de la punition divine. Pourtant, cette punition n’a rien de gratuit (que ce soit dans un fantasme de vengeance ou dans un fantasme de violence servant à noircir le tableau) et relève plutôt d’une conséquence inévitable pour les personnages qui en sont victimes. Faute de pouvoir montrer l’aboutissement à long terme de la haine des personnages, le dragon prend la fonction d’une justice divine, précipitant leurs envies de violence vers l’avenir qu’elle annonce inévitablement. Cette idée est accentuée par les éclairs qu’il crache, adoptant la même esthétique que l’Internet dans Belle, ou même de voyage dans le temps dans La traversée du temps, sous entendant que les attaques du dragon relèvent d'un fantastique rattaché à la modernité. Par opposition, les voyages vers l'avenir de Scarlet sont représentés avec un immense étendu d'eau, contrastant avec tous les autres voyages temporels et spatiaux du réalisateur, car il n'est pas tant question de voyager dans l'avenir, mais d'aller dans un temps présent dans une réalité alternative. Il n'est pas tant question de quitter le monde dans lequel on vit, mais de le redécouvrir sous une nouvelle approche consistant pas à s'attarder sur la douleur du présent, mais de se projeter quand le monde ira mieux en étant ce que l'on aimerait devenir. Hijiri étant un personnage venant de l'avenir, il est le témoin direct de ce que la vie peut ressembler si Scarlet accepte de ne pas entretenir le cycle de la violence. Il n'est pas tant le témoin d'un monde utopiste où le mal n'existe plus, son histoire en est une preuve glaçante et bouleversante (là encore, on voit une différence d'approche très net, entre son récit et celui de la mère de Suzu dans Belle, qui permet de montrer un portrait plus pessimiste de l'Homme), mais plutôt de montrer comment vivre avec le poids qu'est être un humain, dans ses bons et ses mauvais aspects. On y retrouve ainsi une continuité avec le propos de Miraï ma petite soeur dans son rapport intergénérationnel. Là où Miraï ma petite soeur parle de l'identité que lègue nos expériences et notre héritage passé (avec la maxime "Tous ces moments fugaces mis bout à bout, qui nous ont créés, font ce que nous sommes aujourd'hui" durant la scène de l'hirondelle), Scarlet parle du libre arbitre de l'Homme face à cet héritage, ainsi que de la manière dont ses actions impactent les générations futurs. Si les événements du passé font ce que nous sommes aujourd'hui, nos actions présentes font ce que seront les générations avenirs. Ainsi, même face aux tourments les plus sombres, si nous décidons la paix, alors les générations avenirs pourront profiter du bonheur, même si nous-mêmes n'auront pas forcément la chance d'en profiter. C'est surement le message le plus beau et le plus tragique que Mamoru Hosoda ait prononcé jusqu'à présent.
Si Mamoru Hosoda a choisit d'adapter librement Hamlet, c'est avant tout pour inscrire le récit dans la longue durée et dans une forme d'universalité. Plus qu'une histoire de vengeance personnelle, c'est l'histoire d'une génération amené à apprendre à croire en son avenir, et à retrouver goût à la vie. On ressent chez Mamoru Hosoda une envi de se lâcher, d'être dans la spontanéité et dans le ressenti immédiat face à la part sombre de la vie qu'il a globalement cherché à esquivé dans tous ses films. Contrairement à la majeure parti de sa filmographie, souvent très (trop ?) calibré, ne laissant pas de place au hasard, Mamoru Hosoda laisse libre court à son imagination et n'hésite pas à proposer des moments de pure lâché prise, où le réalisateur se libère en même temps que son personnage principal. On peut voir cela à travers de nouvelles sources d'inspirations dans son cinéma, comme I saw the devil de Kim Jee-Woon pour son climax final, mais surtout dans les parties dansé et chanté. Ce sont des scènes se voulant comme des moments d'évasions et de pauses dans une fuite en avant dans l'horreur et une fin tragique. Il ne sera pas tant étonnant d'être hypnotisé par un solo de guitare, une scène où Hijiri apprend difficilement à danser sous le regard des villageois (qui se moquent autant qu'ils l'admirent pour sa générosité et sa grandeur d'âme), où une scène halluciné s'inspirant de La La land de Damien Chazelle dans une scène de danse en total rupture de ton. Le réalisateur s'en donne à cœur joie, va très loin dans ses tableaux et ses propositions radicales, et n'hésite pas à aller à la faute pour extérioriser ses émotions. Le film se veut libérateur, et la liberté c'est aussi de tomber dans des choses un peu plus grossières et maladroite que dans ses précédents films, mais cette candeur montre au mieux tout l'optimisme et la bienveillance de son réalisateur qui, faute de vouloir le bon goût absolu, souhaite avant tout proposer quelque chose d'authentique dans ses sentiments. Je pense notamment à l'épilogue, où Scarlet doit répondre à une question qui lui est posé, et où cette dernière offre une réponse presque déraisonné et fausse, mais qui a pour vocation de changer des mentalités. On peut presque penser à la manière assez ambigu qu'a pu avoir Chris Sanders de conclure son film Le Robot Sauvage, dans une forme d'utopisme qui cache en sous-texte une amertume sur la dure réalité. Cependant, tout comme la réalisation, on peut regretter une exécution qui peut paraitre maladroite et qui n'offre pas satisfaction, contrastant avec la perfection que peuvent avoir certaines scènes.
Je vous avouerais qu'il me faut revoir le film pour pleinement juger, mais que ce soit la réaction de l'audience, ou même la réponse de Scarlet, le discours de fin est très troublant et laisse perplexe. Alors qu'on s'attendrait à ce que Scarlet dise qu'un monde sans guerre n'existe pas (allant dans la gravité nouvelle instauré par Mamoru Hosoda dans son cinéma) mais qu'on peut tous avancer pour un avenir meilleur (littéralement le propos du film), Scarlet dit que oui, un monde sans guerre existe, ce à quoi l'audience réagit très vite en faveur de Scarlet (là où on s'attendrait à ce que tout le monde se marre et ne la croit pas une seule seconde). D'un côté je comprends cette démarche car cela aurait été redondant d'appuyer une énième fois un propos qu'on avait déjà bien assimilé tout du long, et on peut presque y voir une forme de critique acerbe presque ironique derrière un propos d'une grande sincérité. Pourtant, de l'autre, on tombe dans une forme de maladresse presque grossière qui contraste avec la justesse de l'ensemble, notamment lorsque l'on se rappelle des derniers instants entre Hijiri et Scarlet qui précède ce discours.
Scarlet et l'éternité est un tournant majeur dans la filmographie de Mamoru Hosoda, un coup de maître d’une rare sincérité, qui porte son cinéma vers une nouvelle dimension. J’ai rarement eu le cœur autant brisé en mille morceaux devant un film, et Mamoru Hosoda y confirme son immense talent à travers son œuvre la plus radicale et la plus libre. C’est un moment de beauté rare, d’une générosité sans pareil, qui émeut aux larmes autant qu’il redonne espoir, même lorsque tout semble perdu. Si le film n’est pas parfait, c’est parce qu’il ne cherche pas à l’être. C’est une œuvre authentique, chargée d’émotions nobles, qui bouleverse autant qu’elle émerveille. Le fan de Mamoru Hosoda que je suis est comblé, et je ne peux que vous souhaiter de ressentir le même bonheur que celui que m’a procuré ce film.
18,25/20
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il y a 5 jours
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