Sirāt
7.2
Sirāt

Film de Oliver Laxe (2025)

Comme si le réalisateur Oliver Laxe avait pris mon cerveau d’un côté, mes trippes de l’autre, avait fait un nœud bien serré et balancé le tout au milieu d’un pogo de rave party. Je ne me souviens pas avoir reçu un tel uppercut cinématographique depuis le début de l’année ! Je savais que le film avait déchaîné les passions lors du dernier Festival de Cannes (qu’il avait « électrisé » la Croisette, comme le rappelle la tagline sur l’affiche), mais je ne m’attendais pas à une telle maestria.

A Cannes, Sirât était sur toutes les lèvres. L’un des grands favoris des festivaliers et critiques pour la Palme d’Or, le film était reparti avec le Prix du Jury (ex-aequo avec Sound of Falling), le Prix de la musique (la Palm Dog, pour peu que cela veille dire quelque chose) et le Prix des cinémas Art & Essai. Quand on sait que tous les films précédents du cinéaste ont été distingués au festival (son premier long Vous êtes tous des capitaines a reçu le Prix Fipresci à la Quinzaine en 2010, son deuxième Mimosas le Grand Prix de la Semaine de la Critique en 2016, et son précédent film Viendra le feu le Prix du Jury de la sélection Un Certain Regard en 2019), je savais que j’avais de bonnes chances d’être conquis.

Les rumeurs indiquaient également qu’il s’agissait d’un film à découvrir le plus vierge possible. N’ayant pu le voir lors de sa première semaine de sortie (un accident sur la route m’avait empêché d’arriver à temps au cinéma pour la séance), j’avais dû adroitement manœuvrer pour ne pas être spoilé. Et ce n’était pas une mince affaire. Honnêtement, quand je vois certaines critiques du site qui en dévoilent beaucoup trop (parfois même dans leur titre !), je me dis que c’est vraiment dommage : tout le piment réside ici dans la surprise.

Nous ne donnerons donc ici que le point de départ de Sirât : Luis, un père de famille accompagné de son fils Estéban, arpente les rave parties du désert marocain à la recherche de sa fille, mystérieusement disparue. D’une fête à l’autre, le voilà embarqué dans un road trip tambour battant à travers un paysage aride et dépeuplé.

Le terme « Sirât » signifie en arabe « chemin », et désigne un pont aussi fin que le fil d’un rasoir, reliant symboliquement l’Enfer et le Paradis.

Outre des décors à couper le souffle – le film est principalement tourné dans le désert de Saghro, à l’Est de Ouarzazate – la réussite du film repose également sur le charisme de son casting. Luis est incarné par l’inimitable Sergi López, qu’on a plus souvent vu jouer en français qu’en espagnol, pourtant sa langue maternelle. Dernièrement, il était à l’affiche du
Dossier Maldoror de Fabrice Du Welz, ou de La Fiancée du poète de Yolande Moreau. Son air bonhomme confère à son personnage une empathie certaine, et dès les premières images on est pris de pitié pour cet homme pathétique. Autour de lui gravitent des super comédiens non professionnels : on s’attache d’emblée à Bruno Núñez Arjona qui joue son fils Estéban, tandis que le groupe de ravers – des gueules cassées et individus hauts en couleur – fait plus vrai que nature. Les personnages gardent d’ailleurs les prénoms de leurs comédiens : Richard 'Bigui' Bellamy est Bigui, Stefania Gadda est Steff, Joshua Liam Henderson est Josh et Tonin Janvier est Tonin. A l’un il manque un bras, à l’autre une jambe, mais le film ne joue jamais de leur infirmité : ils sont pris tels qu’ils sont, et Oliver Laxe évite l’écueil de leur donner un passé pour expliquer leurs atrophies. C’est finalement assez rare au cinéma, j’ai trouvé ça bien.

Sirât est un film qui déjoue adroitement les attentes, qui montre que la vie n’est pas une ligne droite toute tracée, et qui ne laissera aucun spectateur indifférent. Pour moi, c’est du grand Cinéma !

D. Styx

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