Sirāt
7.2
Sirāt

Film de Oliver Laxe (2025)

Je pourrais me contenter d'apprécier Sirat pour la force de son impact, par le souvenir d'une séance où j'ai été tendu pendant deux heures, redoutant dès les premières minutes les horreurs que je sentais arriver. Bien malgré mes tentatives d'amortir le choc j'ai quand même été pris à revers par ses séquences brutales. Oui, Sirat est puissant, construisant astucieusement ses jeux de tension, développant une atmosphère malsaine où le vaste espace des déserts assure qu'il y a de la place pour que tout arrive.


Cependant, à trop privilégier l'effet du choc, je passerais à côté de ce qui m'a réellement convaincu dans une telle œuvre. Une profondeur qui commence à mes yeux par la subtile cohérence dans ses thèmes.


J'ai eu l'occasion de fréquenter des milieux festifs où la drogue et l'expérience de la musique étaient primordiaux. J'ai eu l'occasion de les fréquenter assez pour me rendre compte que ce n'était personnellement pas mon délire. Pas tant à cause des activités invoquées que du sous-texte qui s'en dégageait parfois. J'ai eu la surprise de retrouver celui-ci dans Sirat. En l’occurrence, je désigne ici ce que j’appellerais une certaine "individualisation de la sensation", qui peut basculer vers un certain égoïsme.


Faire la fête, se défouler, cela n'a jamais rien d'anodin. Ce n'est pas pour rien que ces deux syntagmes peuvent d'ailleurs être utilisés pour illustrer la violence sur quelqu'un : "ça va être ta fête", "il s'est défoulé sur moi". Nous avons tous des manières différentes de "nous lâcher" et aller en rave est une possibilité comme une autre. Néanmoins j'ai du mal à considérer ces activités comme se déroulant dans un esprit de réel partage. Oui on peut se réunir autour de la musique, on peut partager des substances diverses, ce n'est pour moi pas nécessairement pour ça qu'on est ensemble.


Cette individualité de la sensation me semble traverser tout Sirat. Du choix volontaire des protagonistes d'ignorer les nouvelles ambiante (en coupant le son), à leur incapacité à prendre acte du danger jusqu’au "jugement par le feu" final, il y a toute une atmosphère de damnation solitaire dans le film. Certes les personnages dansent en même temps. Mais ils dansent chacun de leur côté.


C’est comme si rien de sain ne pouvait advenir à qui ne cherche que le plaisir. Une grande vacuité semble planer dans le désert : une recherche familiale qui ne va nulle part, une fuite en avant pour rechercher les maigres possibilités de plaisir qui nous restent. Et ce plaisir ne pourra que passer par la violence envers le corps. Et quel meilleur lieu pour illustrer cette tendance, que l'environnement où notre corps est le plus malmené, à savoir le désert ?


Mon amie m'a défini la techno comme étant "la musique charnelle" par excellence, à savoir celle que tu ressens intensément dans ton corps. "Don't think, just let it flow" disaient les Chemical Brothers. Sur ce point la mise en scène m’a semblé transmettre à merveille cette expérience "corporéelle", cette absence de parole nécessaire à la transcendance.


Tout n’est pas parfait. Une ligne de dialogue maladroite ou un jeu d’acteur aléatoire m’ont semblé briser parfois le charme. Ce n’est nullement dérangeant car Sirat m’a semblé brillamment éviter l’écueil de la simple provocation facile, de la sensation du moment. Ses thématiques auraient pu pourtant l’y diriger tout droit. Je n’ai pas trouvé que c’était le cas.


Comme tout véritable choc, comme tout traumatisme pourrait-on dire, il y a après cette séance comme une irrésistible envie d’y retourner. Je ne sais pas ce qui me pousse à cela. Mais mon corps, lui, le sait.

Mellow-Yellow
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il y a 5 jours

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