Soul
7.4
Soul

Long-métrage d'animation de Pete Docter et Kemp Powers (2020)

Soul , le dernier bébé des studios Pixar est un film qui porte en lui de nombreuses et délicieuses contradictions, d'innombrables possibilités de lectures et d'interprétations tout en interrogeant de par sa sortie directement en streaming sur la plateforme Disney + sur la mort du cinéma en salles. Certes le nouveau film de Pete Docter et Kemp Powers n'avait pas vocation à atterrir directement sur nos petits écrans mais son histoire trouve un écho assez troublant aux étranges bouleversements de cette année 2020.


Soul c'est l'histoire de Joe Gardner un musicien dingue de jazz qui enseigne sa passion à des élèves bien peu concernés. Alors qu'il s'apprête à concrétiser le rêve de toute une vie en intégrant un quartet de jazz il meurt bêtement en tombant dans une bouche d'égout ouverte. L'âme de Joe Gardner se retrouve dans l'au-delà mais refuse de quitter la terre, elle se retrouve alors dans un étrange endroit le « Grand Avant » dans lequel les nouvelles âmes acquièrent leur personnalité, leur caractère et leur spécificité avant d’être envoyées sur Terre. Joe se retrouve associé à 22 une âme qui ne voit absolument aucun intérêt vivre une vie terrestre, le musicien va devoir convaincre 22 pour pouvoir réintégrer son corps et reprendre sa vie aux prémices de la matérialisation de son rêve le plus fort.


Soul n'est pas un film qui parle simplement de jazz, de la mort, de l'au delà, de la passion de la musique; en tout cas il englobe toutes ses thématiques dans une dimension bien plus large et vertigineuse qui est celle de l'esprit et de l'âme, de ce qui nous construit et nous façonne au delà de notre corps , de ce qui nous aspire et nous inspire pour faire la somme de ce que nous sommes. Soul est un film double , un film schizophrène qui ne cesse de renvoyer à cette dualité du corps et de l'esprit, de la vie et de la mort magnifiquement symbolisé à l'écran par une double identité graphique et musicale. Soul est une nouvelle fois d'une beauté et d'une perfection graphique assez renversante avec d'un côté un New-york "réaliste" dans ses ambiances, se lumières , ses textures et ses nombreux détails et de l'autre un univers spirituel plus flou, plus fou, plus cotonneux, impalpable et mal définit comme cette dualité entre l'art figuratif représentant les corps et l'art abstrait représentant des émotions, des idées, des concepts et projections mentales. Ce grand avant est plus poétique, plus graphique, plus expérimental, plus léger comme libéré du poids des corps et des contours et on pourras retrouver dans certains personnages très stylisés en 2D des références à Miro ou Picasso. Cet univers spirituelle ne pouvait qu'être plus imaginaire plus vaporeux car tout simplement libre de tous les possibles.


Soul porte en lui cette idée (discutable) que le noyau dur de notre âme est constitué dès notre naissance avec nos grands traits de caractères, nos passions, nos aspirations et que par essence nous avons tous une personnalité différente dès notre premier cri. Par extension cette idée implique que les événements de nos vies, notre éducation, nos inspirations ne vont faire que contraindre ou influer ce que nous sommes déjà au plus profond de nous, le film a d'ailleurs un discours assez fort sur l'éducation en citant Orwell et regrettant l'uniformisation des esprits. Mais qu'est que cela signifie de s'accomplir ? Jusqu'ou doit on porter la poursuite de nos rêves ? . Là ou Soul va pouvoir dérouter voir agacer beaucoup de monde c'est que le film prend le contre pieds d'une immense majorité de films, fictions et récits avant lui qui font de la poursuite d'un rêve l'accomplissement de toute une vie. Dans Soul le récit n'invite pas à renoncer à ses désirs, se rêves et ses ambitions pour se conformer à une vie monotone comme certains le dénonce à travers quelques critiques lues ici ou là, mais à ne pas faire de son rêve une obsession propre à ronger notre existence et nous faire passer à côtés de milles autres petites choses. Le film semble même dénoncer , et c'est assez osé dans son contexte de divertissement familiale, cette culture de la réussite par l'accomplissement de quelque chose de plus grand que soit. C'est cette idée même qu'il faille faire absolument quelque chose de sa vie qui va générer du coup les âmes en peine de celles et ceux qui ne se sentiront jamais plus grand que leur simple petite existence. On a certes déjà vu plein de film dénonçant la dictature de la réussite sociale et du conformisme à certains modèles mais il est bien plus rare de voir un film englober dans cette matrice la poursuite aveuglante d'un rêve ou l'enfermement dans une passion. Soul ne vante aucunes réussites comme accomplissement d'une vie mais revendique le simple plaisir et l'émerveillement à vivre et savourer le moindre petit plaisir et la moindre seconde de vie. C'est sans doute pour ça que je trouves Soul assez exceptionnel dans cet éloge d'une vie épicurienne dans laquelle une grande idée, une grande ambition, un grand rêve ne doit jamais se soustraite aux milles petites choses même ratées qui valent tout autant qu'une grande réussite. Soul nous intime de ne pas suivre la partition mais au contraire de jazzer nos vies dans une forme d'improvisation constante visant à retrouver le plaisir des choses dont on a parfois simplement oublier le goût . Soul n'est pas l'éloge des brillants, des rêveurs accomplis, des vies pleines mais des bons à rien capable d'être toujours riche de tout sans perdre une vie entière aveuglé par le soleil de la réussite et c'est pour moi un discours très pertinent et original.


Soul est il aussi peut être l'œuvre la plus introspective du studio Pixar désormais fondu totalement dans l'empire commerciale tout puissant de Disney. L'accomplissement est bel et bien là , Pixar est devenu un géant du divertissement reconnu par tous, il s'intègre à un empire commerciale puissant qui lui permet d'exister et perdurer; il a pris corp et aboutit à son rêve mais que reste t-il de son âme ? Soul est il le film qui questionne intimement l'avenir de Pixar avec sa crainte de mourir et se perdre, la place qui lui reste encore pour se réinventer, créer, s'amuser et simplement vivre au sein d'une entreprise aussi puissante et rigide que Disney ? Je crois que ces questionnements intimes traversent aussi Soul d'une profonde introspection mélancolique sur l'avenir même du studio. Film décidément totalement schizophrène, Soul reste un film puissant, complexe et original qui existe en marge de Disney tout en semblant parfois se fondre dans ses moules à l'image d'un final que j'aurai volontiers coupé deux minutes plus tôt. Même si Soul reste un pur Pixar dans l'esprit, la complexité de ses questionnements et ses audaces graphiques il semble aussi doucement se dissoudre pour être un Disney avec des figures et des ressorts plus convenus.


J'ai adoré le film pour les nombreuses thématiques vertigineuses qu'il aborde (C'est un film qui s'adresse aux enfants ne l'oublions pas), sa richesse et sa profondeur , sa perfection graphique mais je n'ai pas ressenti autant de plaisirs et d'émotions que je l'espérais. Alors que des films comme Toy Story 3 - Là-Haut - Wall E ou Coco me bouleversent Soul ne fait que m'émouvoir, là ou Vice Versa me terrasse dans sa profonde expression mélancolique Soul ne fait que m'interroger , là ou tant de fois le studio Pixar m'a fait rire Soul me fera simplement sourire. Attention Soul reste une petite merveille et un grand Pixar mais il lui manque cette petite étincelle, ce je ne sais qui qui faisait de tant d'autres films du studio des expériences uniques et tellement fortes. Il manque peut être tout simplement à Soul la salle de cinéma et son ambiance si particulière pour pouvoir faire vibrer et raisonner plus fort son âme. Mais arrêtons de jaser et jazzons plutôt nos vies en célébrant les milles petits plaisirs de nos périssables existences comme celui de regarder un si joli film.

freddyK
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le 28 déc. 2020

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Freddy K

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