Avec Split, M. Night Shyamalan réaffirme la marginalité congénitale du super-héros et la propension de ce dernier à puiser sa force extraordinaire dans les troubles de son moi profond. Suivre Kevin Wendell Crumb dans les couloirs étroits du sous-sol zoologique revient à voir s’entrecroiser les fibres d’un cerveau aux linéarités aléatoires ; l’escalier de la psychanalyste reproduit, en perspectives cette fois, l’entrelacs de réseaux à l’intérieur du cortex, construction identitaire qui, seule, permet au jeune garçon de survivre. Pour l’incarner, un James McAvoy stupéfiant. Face à lui, une actrice tout aussi talentueuse, Anya Taylor-Joy, qu’une mise en scène pleine de subtilités prend soin d’isoler, en recourant notamment à l’architecture des lieux (les cloisons de la chambre, par exemple découpent l’espace en deux ensembles, à l’instar des deux hémisphères du cerveau). Des discours scientifiques et philosophiques, il y en a. Des idées de réalisation, à la pelle. Car Shyamalan recourt au cinéma de manière totale, il compose des images et des textes capables peu à peu de s’enrichir mutuellement jusqu’à aboutir à la vision du cinéaste, limpide et exigeante. Chaque cicatrice équivaut à une occasion supplémentaire d’éprouver la conscience d’être en vie et d’influer sur elle sans retenue. Faire des blessés d’hier des héros de demain trouve non seulement dans le cinéma de Shyamalan une résonance certaine – du Village au Dernier Maître de l’air, chacun de ses films aborde cette thématique – mais plus largement dans notre appréhension de la différence dans un monde où les images et le discours qui les habille suivent une même ligne interprétative. Véritable pied-de-nez aux superproductions actuelles, Split brise Hollywood et se galvanise des éclats d’héroïsme ainsi engendrés, éclats qui bénéficieront d’une soudure formidable dans la suite de ce triptyque, Glass. Récit d’une libération des traumatismes par l’expérience traumatique, récit de terreur où perce un humour léger, le film ose en outre réinventer le thriller sur fond d’escape game (très à la mode aujourd’hui). Œuvre immense, Split compose, à partir de parcelles sensibles, une somme artistique capable d’épouser l’humain dans sa polyphonie fondamentale. Un chef-d’œuvre, tout simplement.

Fêtons_le_cinéma
10

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le 13 juil. 2019

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