--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au premier épisode de la huitième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfères juste le sommaire de la saison en cour, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/soul_s/3323463
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---
Sans m'arrêter par le Fantôme à Vendre de René Clair (à mon grand regret, j'aurais aimé voir cet immense cinéaste des premières heures s'employer à faire de la comédie avec un fantôme. Tiens d'ailleurs je profite d'avoir ouvert une parenthèse à ce sujet pour faire une petite digression et m'extasier encore sur la grande maturité qu'à déjà le fantôme à ce stade de l'Histoire : d'habitude lors du mois-monstre, les premières comédies arrivent en fin de cycle, le monstre, en cent ans de cinéma, devient une légende et a droit à sa parodie. Certes parfois on a un Abbott et Costello pour venir me contredire, mais c'est souvent des films mauvais, qui ne font pas de la comédie sur un monstre, mais à côté du monstre. Bref, je n'ai pas vu le film de René Clair, peut-être qu'il ne vaut pas plus un Deux Nigauds Contre Frankenstein, en tout cas est-il que je trouve surprenant et extrêmement enthousiasmant de voir que le fantôme, dès 1935, a été choisi par un cinéaste de qualité pour être le héro d'un film de comédie. Bref), j'arrivais directement ce soir en 1946, année à laquelle Claude Autant-Lara nous proposait Sylvie et le Fantôme. Et vraiment je ne me lasse de pas de constater que dès le deuxième film du cycle nous sommes arrivés à un degré de compréhension de la créature d'une telle finesse et d'une telle intelligence. Je me répète par rapport à la précédente critique, mais le fantôme existe depuis toujours dans l’imaginaire collectif, il s'est structuré, autour de feu de bois, au théâtre, dans le roman, partout où l'on pouvait raconter des histoires avant les salles obscures. Et, versatile comme il est, il n'a pas besoin de se redéfinir, de reprendre ses marques en arrivant au cinéma. C'est comme s'il avait toujours été, là, hantant déjà le procédé avant même qu'il ne soit inventé. Et finalement c'est peut-être le cas. On cité parfois le fantôme de Pepper comme un processus précurseur du cinéma. Fantôme de Pepper qu'on retrouve d'ailleurs aux effets spéciaux très élégants de ce soir. Il est vrai que je passe beaucoup de mon temps, surtout en début de cycle à chaque mois-monstre, à hurler sur des effets spéciaux ratés. Pas ratés par manque de technologies, mais raté par la paresse de n'avoir pas su trouver la bonne astuce pour contourner habilement des limitations techniques. Mais il n'est pas question de ça ce soir, 1946 n'a pas besoin d'autre chose que d'un artifice datant du siècle précédent pour proposer un film de fantôme d'une grande élégance. Élégance dans la technique donc, élégance également dans ce décor d'un château roman tout en rondeur, évitant le lieu commun du château gothique hanté que l'on connaît tous par cœur. Voyez ? Le fantôme n'a pas encore d'imagerie cinématographique qu'il fuit déjà les clichés. C'est incroyable. Le fuite des clichés, on la retrouve également au scénario, avec ce subtile chassé-croisé entre vrai fantôme et faux fantôme, le premier prenant exemple sur les seconds pour se vêtir du suaire qui lui permettra d'être vu, même d'outre-tombe, appuyant le fait que la légende a dépassé la réalité, que le fantôme lui-même doit se vêtir de ce qu'on attend de lui pour qu'il soit remarqué. Élégance dans la narration, introduisant le contexte par une sorte de douce mise en abyme, le personnage principal contant aux enfants la légende du château qui va prendre vie (ou corps, ou âme du moins) dans la suite du récit, préférant admettre l'intelligence du spectateur pour le laisser comprendre, plutôt que de sur-expliquer son intrigue d'apparence frivole mais qui se révèle bien plus complexe qu'elle n'en à l'air, et s'ornant d'une fin tout en sous-entendu et en mélancolie. Ce film, c'est comme une caresse, à la fois fantomatique et réconfortante. Les dialogues sont piqués de répliques grandioses, Jacques Tati, déjà muet à rebours, est brillant en fantôme, le détail des deux petits chiens, se pourchassant à travers la frontière de la mort qui les sépare, fait chavirer les cœurs. C'est une pépite, posé là en 1946, qui pourrait ressortir aujourd'hui sans avoir pris une ride, et qui pourtant articule parfaitement sa place dans l'Histoire du Cinéma, héritier savant de l'expressionnisme français et du réalisme poétique. Je ne peux qu'être transie d'enthousiasme pour la suite du mois, tant ces deux premiers films m'ont laissée sans voix. Qui sait comment cela évoluera ? Si nous sommes déjà comme en 2025 en 1946, vais-je finir par voyager dans le futur avec cette exploration ? Qui aurait pu prédire que c'est l'immortel mort depuis des siècles qui allait pouvoir m'offrir un tel voyage ?