In girum imus nocte ecce et consumimur igni.

Et merde.
Comment parler sereinement, au bout d’une seule vision, d’un film qu’on n’est pas sûr d’avoir parfaitement compris et dont tout le monde a déjà abondamment parlé ?
Commençons donc par nous fixer des objectifs concrets :
- Je ne vais pas écrire ma critique sous forme de palindrome, pour faire branché, comme tout le monde essaie plus ou moins correctement de le faire.
- Je ne vais pas qualifier ce film de parfait, juste parce que c’est du Nolan et qu’il est intouchable.
- Je ne vais pas me forcer à trouver des défauts, soi-disant pour ne pas avoir l’air d’être un adorateur naïf et béat du réalisateur.
- Je vais essayer de faire une critique qui réussisse un tant soit peu à rendre hommage au film comme il le mérite.


Une chose est sûre : il est difficile de savoir par où commencer, quand on parle d'un film comme Tenet
Une fois qu’on l’a vu, on comprend tout-à-fait pourquoi le film fait débat. Vaste fumisterie ou film tellement intelligent qu’il en perd à plusieurs moments son spectateur ? La question reste ouverte, mais il est clair que les spectateurs qui accuseront Nolan d’être un imposteur sont déjà hors-course de par leur évidente mauvaise foi.


Une chose me fascinera toujours chez Nolan, c’est la manière qu’il a de donner à son film la structure qui correspond au concept qui en est à la base. Ainsi, Memento nous plongeait littéralement dans la peau d’un amnésique par d’habiles jeux de montage, Le Prestige adoptait la structure même d’un tour de magie (la promesse, le tour, le prestige), Inception pratiquait sur son spectateur même l’inception (tombera ? tombera pas ?), Dunkerque jouait plus ou moins habilement de différentes temporalités pour nous mettre dans la situation d’attente insoutenable qui était celle des soldats dont il nous fait suivre le parcours. Avec Tenet, Christopher Nolan pousse encore une fois son concept jusqu’au bout, construisant tout son film à l’image d’un palindrome, dont la scène centrale est une merveille d’intelligence.


En s’appuyant sur une équipe technique absolument remarquable, Tenet peut perdre son spectateur, certes, mais ne vaincra pas la ténacité de ceux qui s’accrochent. Le véritable héros du film à mes yeux reste sans nul doute l’immense Hoyte van Hoytema. Le directeur de la photographie d’Interstellar et Dunkerque nous offre à nouveau ici un travail impeccable en tous points, qui traduit bien à l’écran la grammaire cinématographique assez unique du réalisateur.
On sera en revanche en droit de trouver le montage extrêmement, et parfois trop complexe. Cela est-il dû à un changement de monteur, Jennifer Lame œuvrant ici pour son premier Nolan ? En tous cas, j’avoue avoir eu du mal à suivre à deux moments en particulier :


lorsque le Protagoniste revit en inversé l’échange de mallette sur le périphérique de Tallinn, et lorsque le Neil inversé ouvre la porte, dans la grotte finale. Il y aurait sans doute eu moyen d’éclaircir ces deux moments.


Autre bémol : la musique de Göransson propose d’intéressantes expérimentations, mais on est loin du Zimmer à la fois expérimental et mélodique d’Inception et Interstellar… Léger regret.
Là où Tenet ne révèle aucune faille, c’est au niveau de son casting. John David Washington se révèle le digne fils de son père, un bon acteur et un excellent sportif, qui apporte une indéniable plus-value au film. Nul doute qu’on lui doit pleinement la réussite du combat de l’aéroport entre deux combattants inversés l’un par rapport à l’autre. Absolument brillant. Mais il ne serait rien sans le magnétique Robert Pattinson, véritable révélation du film, qui incarne son personnage avec une classe et un dynamisme qu’on ne lui connaissait pas. Dire qu’on a hâte de découvrir sa version de Batman est désormais bien plus qu’une simple litote.
Peut-être figure du réalisateur himself, Neil apporte au récit une dimension méta très satisfaisante, par laquelle Nolan apporte au film sa traditionnelle réflexion sur le cinéma et l’écriture d’une histoire : qu’est-ce qui fait un protagoniste ? Quelles actions ? Ses actions sont-elles déterminées à l’avance ou les écrit-il lui-même ? Et une foule d’autres questions qui poursuivent la réflexion que le réalisateur tisse de film en film sur son propre art.


On se demandera ce que ça fout là, mais petite parenthèse pour évoquer les interminables jambes d’Elizabeth Debicki. Impressionnant, je n’avais jamais réalisé qu’elle était aussi grande… 1,88 m, ça en jette !


C’est d’ailleurs grâce à elle que le film prend tout son envol. On est habitué à voir Christopher Nolan réfléchir sur la paternité et sur l’amour familial. Tenet se révèle un beau miroir d’Interstellar à ce titre : après la relation père/fille, voilà la relation mère/fils au cœur du film. Apportant une touche de féminité non négligeable (ne comptons pas sur le personnage de Clémence Poésy pour cela), Kat est sans doute un des personnages les plus humains, et celui qui fait ressortir l’humanité de ceux qui l’entourent.


Par ailleurs, même si elle n’est rien d’autre que théorique (par définition), j’avoue être très séduit par la théorie sur l’identité de Neil. Cette théorie qui ferait de Neil l’enfant de Sator et Kat prolonge la thématique du palindrome de manière amplement satisfaisante, tout en apportant au film l’émotion dont on l’accuse de manquer et une écriture des personnages qui en devient dès lors mille fois plus rigoureuse.
Neil = Max.
Peut-être Maximilien. Peut-être.
Max = Neil.
Renforçant ainsi considérablement son écriture, Nolan introduirait ainsi une bonne dose d’émotion en faisant comprendre les véritables motivations de Neil (qui cherche à sauver sa mère et lui-même avant de sauver le monde). Il pousse assez loin l’identification entre les deux personnages (ils ont droit au même plan final : Max et Neil s’éloignent tous deux du protagoniste avec leur sac sur le dos, la pièce au bout du fil rouge du sac à dos peut évoquer Pompéi où se trouve Max, l’attention que porte Neil à Kat en serait bien plus justifiée, etc…), et cela donnerait un très beau sens au scénario, en approfondissant mine de rien la relation entre les trois personnages principaux. Bref, cette théorie me séduit largement, mais n’oublions pas qu’elle reste avant tout une pure théorie.


En tous cas, cette belle idée sera sans aucun doute très profitable aux prochains visionnages de ce film étonnant. Finalement, Nolan nous offre sans doute ici un de ses plus beaux personnages féminins, personnages que, reconnaissons-le, il a tendance à bâcler. Ici, grâce à cette séduisante théorie et à la belle présence d’Elizabeth Debicki, Kat revêt une épaisseur fort intéressante, qui donne envie de creuser bien davantage tout ce que le scénario dresse autour du personnage.


Au fait, je vous ai parlé des jambes d’Elisabeth Debicki et de ses 1,88 m ? Bon, on se demande toujours ce que ça fout là, je vous le concède.


Il faut dire qu’elle complète admirablement un casting dont j’ai déjà dit tout le bien qu’il fallait penser (à moins que vous lisiez ma critique en mode « inversé », dans ce cas, ne vous inquiétez pas, ça vient). Comme dit ci-avant (ou ci-après, on ne sait plus !), elle apporte au film la touche d’émotion qui lui manquait. Son duo avec Kenneth Branagh est vraiment réussi, et on remarquera d’ailleurs qu’il aura fallu tout le génie d’un Christopher Nolan pour réussir à calmer les cabotinages habituels de Branagh et les utiliser (pour une fois) à bon escient. Branagh n’a jamais été un aussi bon acteur (il en a même été plusieurs fois un mauvais) que chez Nolan.
Ainsi, tout le casting se révèle parfaitement employé, exception faite de l’immense Michael Caine, qui joue ici le rôle de caméo de luxe. Comme dans Inception, finalement, la boucle est bouclée.


Pour suivre la logique de ma critique (si tant qu’il y en ait une), il faudrait que je vous parle de l’équipe technique : Hoyt van Hoytema, Jennifer Lame & Cie. De deux choses l’une : soit vous lisez ma critique dans le bon sens et dans ce cas, vous savez déjà quoi en penser. Soit vous la lisez en inversé, et dans ce cas, fermez-là et attendez d’être arrivé au bout, non mais !
Du coup, on va dire que c’est chose faite et on passe à la suite. (Oui, je triche, mais comme même Nolan se le permet par moments…)


En tous cas, la structure palindromique de Nolan reste à l’instar de tous ses films à concept précédents (Memento, Le Prestige, Inception, Dunkerque : oui, bah voyez ci-dessus, hein) un incroyable tour de force de la part de ce réalisateur qui n’a jamais reculé devant la complexité.
Avec cette écriture palindromique, Nolan fait pivoter tout son film autour d’une scène qui articule deux moitiés certes assez inégales, mais d’une remarquable unité. Si l’on est tenté de s’ennuyer au bout d’une première moitié au tempo légèrement aléatoire, la deuxième moitié du film lui donne un tout nouvel éclairage, véritablement fascinant. Avec des codes simples (bleu/rouge, masques/pas de masques), Nolan explicite clairement le fonctionnement concret de son concept, quand bien même il l’habille habilement de dialogues au sens et à la fonctionnalité pas toujours très intuitifs.


Vaste fumisterie ou film très intelligent, reconnaissons que Tenet perd par moments son spectateur, mais que le spectateur attentif saura globalement recoller la plupart des morceaux. Mais la complexité du scénario alliée à celle du montage et de la mise en scène expliquent très bien pourquoi le film fait débat, et on ne pourra guère songer à le reprocher aux spectateurs qui s’avouent complètement perdus, à partir du moment où ils n’accusent pas Nolan d’être un imposteur.
Une chose est sûre : quand on parle d'un film comme Tenet, il est difficile de savoir par où terminer.


Concluons donc, en reprenant mes objectifs de départ (ou d’arrivée, zut à la fin) :
- Je vais essayer de faire une critique qui réussisse un tant soit peu à rendre hommage au film comme il le mérite. : CHECK (?)
- Je ne vais pas me forcer à trouver des défauts, juste pour ne pas avoir l’air d’être un adorateur naïf et béat du réalisateur. : CHECK
- Je ne vais pas qualifier ce film de parfait, soi-disant parce que c’est du Nolan et qu’il est intouchable. : CHECK
- Je ne vais pas écrire ma critique sous forme de palindrome, pour faire branché, comme tout le monde essaie plus ou moins correctement de le faire. : …
Et merde.

Tonto
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le 2 sept. 2020

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