Abyssus Abyssum Invocat

J'ai toujours été impressionné par Sophia Coppola. Elle possède ce que peu de réalisateurs possèdent, une patte. Fascinée par l'adolescence et l'ennui, limite dépressif, elle sait toujours filmer avec grâce les phases de déréliction et de perdition de ses personnages, souvent à la frontière entre l'adolescence et l'âge adulte, souvent confrontés à une immaturité et à un refus de grandir, et alors que l'on pense que le film va être aussi ennuyant que son sujet, ou à la rigueur une redite, on est surpris par la légèreté toute enfantine des jeunes acteurs qu'elle filme, bien souvent.

Une fois n'est pas coutume, les mêmes obsessions se retrouvent dans The Bling Ring. Mais le sujet diffère quelque peu. Pourtant, Sofia Coppola pose un autre regard sur ces jeunes héroïnes. Elles sont cruches, vides, sans intérêt. Elles sont bêtes, soyons clair. Là où Marie-Antoinette était attachante, là où Virgin Suicides est touchant, ici, les filles sont simplement sottes, confondues de bêtises comme pour compenser l'extrême vacuité de leurs existences.

Une bande de jeunes lycéens par ennui, par adulation pour les stars hollywoodiennes, décide de se parer de leurs précieux atours, se glissant la nuit, comme des chats, dans les immenses et incohérentes maisons de ces célébrités, la journée, les adulant, le soir, les volant. Une fuite en avant, l'ultime déréliction, vide de sens, absurde et idiote : voilà de quoi traite ce film. Le film se fonde sur une répétition. Le même rituel se produit, de plus en plus souvent, de plus en plus fort. Ils ne s'arrêteront plus. Ce qui est frustrant - et déroutant - pour le spectateur, c'est qu'au fond cet acte stupide n'est pas justifié ni justifiable. Il ne conduit à rien. Il est sans but. C'est probablement ce qui en a agacé plus d'un, tant d'antipathie pour les personnages, qui ne servent à rien.

Une quête vide de sens, si ce n'est celle du mimétisme. On fréquente les mêmes endroits que les stars, on croit appartenir à leur monde. On trouve même sur internet où ils sont en voyages et leur adresse. Le sujet de Coppola est en fait passionnant. Elle parle du fantasme, de l'illusion entretenue par la "starisation" de certaines personnes, un système qui adule une poignée de gens à coup de clips TV, de publicité, et de regards inquisiteurs, pervers et voyeuristes sur leur vie et sur leur humanité, un regard qui devient celui, envieux, de ces jeunes filles et de leur copain, qui sombre avec elle, un copain d'ailleurs passif et soumis aux affres de ses copines dont il est amoureux.

Inspiré d'une histoire vraie, délicieusement nostalgique, léger, avec une bande son impeccable, comme toujours et un casting très juste - Emma Watson étant assez intéressante, et d'ailleurs jouant une jeune femme attirée par la célébrité de ses idoles, alors qu'elle est elle-même une jeune femme dans la vraie vie adulée. Le sujet est simplement totalement creux, quasiment anecdotique et donc profondément perturbant pour un film qui a des ambitions de film d'auteur. L'inconsistance du thème principal conduit inexorablement à des enjeux pauvres pour les personnages et pour les spectateurs et c'est ce qui fait de ce long métrage un ensemble bancal, mais touchant et aussi juste que l'insignifiance des existences décrites.

L'abîme appelle l'abîme.