Un peu à l'image de ce mystique difficile à lire qu'est Lancaster Dodd, The Master est un cas pour le moins étrange. Réalisateur depuis longtemps passé du statut de prometteur à aguérri, Paul Thomas Anderson démontre ici une maîtrise esthétique et technique vertigineuse. Magnifiquement sublimé par un format 70mm pertinemment mis à profit, The Master est une prouesse visuelle : minimaliste et imposant à la fois, le film distille soigneusement son symbolisme de tous les instants, qui n'est ici jamais ostentatoire. Les performances exceptionnelles de Joaquim Phoenix et de Philipp Seymour Hoffman viennent parfaitement se greffer à cette quasi perfection formaliste.
Ayant ainsi maîtrisé des secteurs aussi épineux, on aurait alors pu croire que PTA aurait pu au moins assurer le minimum syndical en matière de scénario et de développement des personnages. Hélas, il n'en est rien. Le film semble vouloir se soustraire à toute forme de structure plus ou moins conventionnelle, au point que l'intrigue, pourtant chargée de thèmes intéressants et relativement inédits, s'enferme dans des schémas répétitifs indignes du réalisateur de There Will Be Blood. Les personnages sont uni-dimensionnels et démontrent tristement leur manque de nuances dans des scènes redondantes, ayant pour figure de proue une scène clé souvent mémorable, dont les autres ne sont que des pâles copies.
Reste à savoir si ce curieux amateurisme narratif, qui répond à une maîtrise technique et esthétique incontestables, n'est pas le fruit d'une démarche volontaire. Comme si le réalisateur avait voulu démontrer qu'il est possible de captiver par le seul biais de la forme, la scindant délibérément d'un fond amputé de sens, à l'image des enseignements du Maître.