Ayant vu son père assassiné par son oncle, le prince viking Amleth (Alexander Skarsgård) n'a de cesse de traquer son ennemi à travers les royaumes du Nord. Mais la route vers la vengeance est longue et tortueuse...


D'habitude, quand je vais au cinéma, je suis toujours un peu frustré de voir les lumières de la salle se rallumer dès que le nom du réalisateur apparaît à l'écran. Or, quand The Northman s'est achevé, la salle est restée dans le noir pendant toute la première partie du générique. Et nous en avions besoin. Pendant plusieurs minutes, nous sommes tous restés silencieux, personne ne bougeait sur son fauteuil, je n'ai pas regardé mes voisins, ils ne m'ont pas regardé. Tout le monde gardait ce qu'il avait vu pour lui, et se remettait peu à peu du spectacle étonnant qu'il venait de contempler...


Dire que The Northman est un bon voire un grand film est un doux euphémisme. The Northman est un geste cinématographique puissant. Un geste cinématographique d'une puissance vraiment rare. Bien sûr, le film de Robert Eggers n'est pas parfait, mais il est grand. Et c'est ce qui le rend véritablement génial.

The Northman s'appuie sur un scénario tout ce qu'il y a de plus classique. Il va là où on l'attend et pourtant, il surprend. Là où Robert Eggers tenait d'excellents concepts dont il ne faisait rien dans ses deux films précédents, cette troisième oeuvre est l'occasion pour lui d'aller jusqu'au bout. Et c'est magnifique. Déployant toutes les ramifications d'une vaste réflexion sur l'homme, son animalité, sa folie, mais aussi sa loyauté et sa puissance, The Northman nous introduit dans un monde inconnu.

C'est peut-être à la fois une des forces et une des faiblesses du long-métrage, d'ailleurs : le film est rempli de scènes de cérémonies et d'initiations en tous genres. Ce qui rend l'univers d'autant plus fort et vivant, mais alourdit régulièrement le récit en prenant sans cesse le risque de se détourner de son intrigue. Ce faisant, Eggers développe néanmoins une atmosphère hypnotique et fascinante, où le surnaturel n'est jamais loin des hommes, sans jamais se manifester de manière concrète. Film fantastique au sens littéraire du terme, The Northman s'engage régulièrement sur la voie de la magie sans jamais le faire de manière définitive et en ouvrant toujours une porte de sortie pour ramener à la raison. Les esprits cartésiens s'y retrouveront sans souci. Les plus fantaisistes aussi.


En adaptant une nouvelle fois l'histoire du viking Amleth, mais cette fois de manière plus âpre et plus réaliste, Robert Eggers se détourne de la mythologie construite par des siècles de littérature, avec en tête la célèbre tragédie de Shakespeare, pour nous ramener à une mythologie plus brutale, plus viscérale, plus puissante. The Northman est en effet un pur film mythologique, qui n'a pourtant rien à voir avec la palanquée de blockbusters dont Hollywood nous a abreuvés depuis 300.

La mythologie de The Northman n'est là que pour mieux interroger les croyances de l'homme, son rapport au monde et ce qui lui dicte profondément ses actes. La mythologie n'est là que pour mieux questionner la folie de l'homme, et finalement, son humanité.

Mieux que jamais, la caméra de Robert Eggers capte bien l'animalité de l'homme, sa rage destrutrice et sa folie dévastatrice. La fabuleuse mise en scène du réalisateur nous offre ainsi une foule de plans d'une beauté inconcevable où l'homme apparaît tantôt dans toute sa puissance, tantôt dans toute son horreur. Extrêmement brutal, à déconseiller fortement aux âmes sensibles, The Northman dépeint ainsi sous nos yeux fascinés l'horreur ambiguë d'une civilisation païenne, dont l'extrême violence puise sa source dans la piété même des hommes. N'ayant que mépris pour la faiblesse, les vikings ne manifestent qu'incompréhension face à la religion chrétienne, dont la force est précisément issue de la faiblesse. Or, c'est précisément cette foi dont ils ne se méfient pas qui aura raison d'eux plus tard... La force n'est pas toujours là où on le croit.

Ce choc des civilisations est pour Eggers l'occasion de mettre les hommes du Nord face à leur aveuglement, à leur barbarie, dans une belle introspection, admirablement mise en scène à l'aide des différentes figures mythologiques convoquées ici.


Eggers ayant enfin trouvé un terrain propice à une exploitation juste des discours qui lui sont chers, The Northman est aussi pour lui l'occasion d'exercices de style formels qui le font passer à un niveau de réalisation très supérieur (alors que ses deux précédents films étaient déjà très soignés), emprunts d'une brutalité radicale qui horrifie autant qu'elle fait plaisir à voir en cette époque de blockbusters souvent aseptisés.

Magnifiant les paysages de l'Islande comme jamais, n'ayant rien à envier aux terres envoûtantes de la Nouvelle-Zélande du Seigneur des anneaux, il réunit un casting d'une belle perfection. Si le choix d'Alexander Skarsgård et de son impressionnante musculature apparaît évident, Nicole Kidman crève aussi l'écran dans un rôle complexe et terrifiant, tandis qu'Anya Taylor-Joy apporte au film la douceur qui lui manquait, tempérant les ardeurs guerrières et virilistes du film par une touche de féminité ferme et combative fort bienvenue. On ne peut pas ne pas mentionner les géniaux Ethan Hawke et Willem Dafoe qui crèvent aussi l'écran, de même que Claes Bang, qu'on ne connaissait pas aussi intense. Chacun fait vivre son personnage avec un talent indéniable.

Enfin, il sera difficile de ne pas toucher un mot des costumes, signés Linda Muir. On y pense rarement, mais ici, ils revêtent une importance toute particulière (même si Linda Muir ne s'est guère foulée pour le duel final), comme en témoigne le très impressionnant costume de Björk, dans un rôle très éphémère mais très marquant. C'est peut-être une des plus grandes réussites du film d'avoir su créer un univers très particulier et très crédible par sa simple manière de vêtir (ou de dévêtir) ses personnages.


On a commencé en expliquant que The Northman était un geste cinématographique puissant. On pourrait aussi dire qu'il est un geste cinématographique impitoyable, et c'est tant mieux. Rendant parfaitement hommage aux grandes épopées médiévales, à la violence parfois cruelle et parfois noble d'une époque lointaine, s'appuyant sur des dialogues d'une force remarquable, n'en disant ni trop, ni trop peu, The Northman est sans doute l'adaptation la plus intense de l'histoire d'Amleth, lorgnant plus du côté de la magnificence wagnérienne que de la subtilité shakespearienne. Et le résultat est particulièrement réussi.

Même si le récit prend parfois trop son temps, même si Robert Eggers menace à chaque instant de tomber du fil ténu sur lequel il est en train de marcher, The Northman est en quelque sorte un miracle. La preuve qu'on peut faire sanglant sans faire racoleur, la preuve qu'on peut faire puissant sans faire grandiloquent, la preuve qu'on peut encore faire du grand spectacle de qualité aujourd'hui.

La preuve, enfin, qu'en 2022, il est toujours possible de réaliser des épopées qui vont rester, et qu'à la pression étouffante de certains producteurs sans peur et sans scrupules, le vrai, le grand cinéma, toujours résistera.

Tonto
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2022

Créée

le 14 mai 2022

Critique lue 89 fois

8 j'aime

4 commentaires

Tonto

Écrit par

Critique lue 89 fois

8
4

D'autres avis sur The Northman

The Northman
Sergent_Pepper
4

Primal team

Alors qu’il s’était fait connaître dans le registre modeste du film de genre (The Witch) et du huis clos perché (The Lighthouse), Robert Eggers passe avec The Northman dans la cour des grands : un...

le 12 mai 2022

98 j'aime

5

The Northman
Moizi
2

On garde deux trois décors, la musique et on brûle le reste

Bon je crois que le cinéma de Robert Eggers c'est vraiment pas pour moi, c'est long, c'est mou, c'est pompeux, ça se prend au sérieux alors que c'est totalement con et surtout c'est poseur. Disons...

le 13 mai 2022

78 j'aime

16

The Northman
Procol-Harum
4

Le grand Thor du cinéaste surdoué.

C’est d’être suffisamment présomptueux, évidemment, de croire que son formalisme suffit à conjuguer si facilement discours grand public et exigence artistique, cinéma d’auteur contemporain et grande...

le 13 mai 2022

78 j'aime

20

Du même critique

Solo - A Star Wars Story
Tonto
8

Mémoires d'un Han

Dans les méandres de la planète Corellia, où la population a été asservie aux ordres de l’Aube écarlate, organisation au service de l’Empire, un jeune homme, Han (Alden Ehrenreich) tente de s’évader...

le 24 mai 2018

79 j'aime

32

Hostiles
Tonto
9

La fantastique chevauchée

1892, Nouveau-Mexique. Vétéran respecté de l’armée américaine, le capitaine Joseph Blocker (Christian Bale) se voit donner l’ordre de raccompagner le chef cheyenne Yellow Hawk (Wes Studi), en train...

le 20 mars 2018

78 j'aime

15