Il y a quelque chose de grossi au royaume du Danemark

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Comme beaucoup des personnes qui avaient découvert et apprécié la patte instantanée de Robert Eggers sur The VVitch et The Lighthouse, j’étais à la fois craintif et excité à l’idée de voir le cinéaste propulsé sur un projet de plus grande envergure. Craintif car on sait que nombre d’auteurs se sont perdus dans les rouages de la machine hollywoodienne. Excité car lorsque le mariage est heureusement consommé, on peut accoucher de belles pépites, et que les films de vikings sont bien trop rares à mon goût (il faut remonter treize ans plus tôt pour trouver Valhalla Rising). Et à ma sortie de la salle en 2022, j’étais conquis, en témoigne mon commentaire de l'époque:


L'allocation d'un gros budget pour une adaptation de la légende viking qui inspira Shakespeare pour son Hamlet par le très remarqué Robert Eggers avait de quoi exciter. Et c'est une franche réussite, le jeune réalisateur réussissant à transposer avec brio son univers visuel et thématique déjà développé dans The VVitch et The Lighthouse dans cette histoire de vengeance brutale et mystique. Les corps sont tantôt décharnés, tantôt brutalement puissants, les personnages sont malmenés de bout en bout dans un univers hostile, tant aux protagonistes qu'aux antagonistes. D'aucuns critiqueront la simplicité du récit, mais ce serait faire fi de toute la symbolique qui accompagne tous les pans ésotériques du film, ce serait se voiler à l'esthétisme léché du métrage, et ce serait faire occlusion à cette brutalité, cette violence on ne peut plus percussive. Un véritable film épique et halluciné qui se trouve être une réponse enragée au mutique Valhalla Rising de Refn.

Conquis, mais pas dupe. Car j’ai longtemps hésité à revoir The Northman, conscient que sorti de l’immersion unique au grand écran, les tares déjà pressenties à l’époque et depuis dérangeantes surNosferatu (que je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de voir en salle) gagneraient du terrain sur ma bienveillance initiale. Si la photographie de Jarin Blaschke est toujours aussi splendide, les chants diphoniques et gutturaux toujours aussi envoûtants et immersifs, et les décors d’Irlande du Nord toujours aussi magnifiques, ils ne sont dans mon salon plus suffisant pour faire l’impasse sur les boursouflures d’un récit convenu aux personnages trop unidimensionnels.


On a pourtant une envie de faire dans le primal qui est traitée avec cohérence, les corps violentés s’exprimant mieux que les peines, les hurlements carnassiers mieux que les discours, et les flatulences mieux que les bons mots. La saga est physique, cherchant à s’ancrer dans le mythe jusque dans ses rituels rappelant aux racines genrées de Eggers ou ses visuels oniriques mêlant carnalités et mythes (ce cœur battant en racine d’un Yggdrasil généalogique ou cette accession au Valhalla flirtant avec le rococo). La scène du raid chez les Rus, plan séquence en déferlante de brutalité berserker, restant la pièce maîtresse de cette adaptation de la légende d’Amleth.


Tout juste pourrait-on reprocher au film de ne pas pousser son ambition d’authenticité, pourtant respectée sur tous les autres aspects, en n’optant pas pour une version originale en vieux norrois, façon Apocalypto.


Mais cette forme impeccable s’accompagne d’un récit de vengeance où l’on nous martèle sans cesse la haine qui habite notre protagoniste sans jamais en faire autre chose qu’un instrument de violence. Les antagonistes et alliés de circonstances, guerriers et sorcières, ne sont que des fonctions qui ne poussent que vers un dénouement connu dès la première scène, sans jamais apporter de substance ou d’humanité à quelque personnage que ce soit. Du coup on se fout bien de ce qui peut arriver à chacun.


On peut tout de même nuancer ce reproche par la tentative de retournement qui vient nous faire douter de la moralité de Amleth, alors que sa mère y reconnaît le fils de son père, un tyran belliqueux ayant abusé d’une esclave, qui devait être éliminé pour le bien du clan. Toute la quête de vengeance semble alors mue par une fourvoiement, une imposture d’affection qui aurait justifié cette folie meurtrière, le sang étant plus fort que la raison. Un bourreau est capable d’un réel amour pour son engeance, et celle-ci peut donc lui rendre inconditionnellement, aveuglément.


The Northman a donc un peu perdu de sa superbe à mes yeux, passant d’un 8/10 conquis à un 7/10 timoré, mais n’en reste pas moins une incursion généreuse (parfois trop, versant dans une pose regrettable) par bien des aspects dans un univers que l’on souhaiterait voir plus souvent traité au cinéma. Si l’on mélange les médiums, on lui préférera toutefois le volet nordique des aventures de Kratos, où Santa Monica Studios parvient à transfigurer sa brute épaisse pour en faire un personnage attachant et empathique. Je ne fonde par contre que peu d’espoirs sur la série Amazon qui va bientôt en découler.


Créée

le 21 juil. 2025

Modifiée

le 21 juil. 2025

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Frakkazak

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