On peut rapprocher la hype qui s’est installée autour de Robert Eggers, depuis The lighthouse, à celle de Nicolas Winding Refn à l’époque de Drive, vous savez, ce truc qui monte, ce truc dans l’air qui se sent et qui vous électrise. Et s’en inquiéter éventuellement quand on voit où en est Winding Refn aujourd’hui qui, depuis Only God forgives, a connu un sacré retour de bâton jusqu’à ce qu’on n’entende plus vraiment parler de lui malgré, il y a trois ans, sa série Too old to die young dont peu ont su goûter l’univers languide et violent, fétichisé à mort. Alors Eggers, prochaine victime de la hype ? Avec ce Northman ultra mastoc, et au vu de nombreux retours critiques qui clairement font la fine bouche, il semblerait que oui. Fini l’état de grâce des deux premiers films, bonjour la gueule de bois.


En même temps, Eggers a prévenu. Il voulait filmer "un combat à l’épée, nu, sur un volcan". Il voulait faire "le film le plus commercial possible, un film de vengeance chez les Vikings". Loin donc de la terreur sourde et du noir existentiel de The witch et de The lighthouse. Ici on fonce dans le tas, on éructe, on fracasse, on ne pense pas, ou pas trop. C’est évidemment un parti pris ; parti pris du rentre-dedans et de la démesure (voire du kitsch) qu’il faut pouvoir accepter. Un parti pris mêlant le barbare, le bruit et la fureur, quasi inhérents à toute fiction sur les Vikings qui se respecte, à des velléités oniriques qui rendraient compte des croyances et des rituels chez les peuples scandinaves du début du Xe siècle (les Nornes, l’Yggdrasil, le Valhalla…), et à une obsession, un souci maniaque, constants chez Eggers, du détail historique, d’une authenticité affirmée.


Tout cela donne un film bâtard, bancal, trop long et trop bruyant, alternant sans cesse le grandiose et le ridicule, l’allégorique à un aspect absolument too much. Comme s’il y avait deux films en un, peut-être trois, ou quatre, ou cinq, on finit par ne plus savoir dans tout ce bric-à-brac d’intentions et de références et de symboliques et de naturalisme revendiqué et de séquences hallucinatoires et de scènes ratées. Comme si Eggers et son scénariste Sjón avaient hésité sur le ton à donner à leur fresque vengeresse inspirée de la légende scandinave d’Amleth (qui elle-même aurait inspiré le Hamlet de Shakespeare), ce qui d’ailleurs se vérifiera dans la caractérisation des personnages, tous écrits à la truelle.


Pire : dans l’intérêt même de l’intrigue dont on ne ressent jamais le souffle épique, la tension de ce qui s’y joue, la portée inéluctable du tragique, et à laquelle souvent on préfèrera, c’est dire où se situe le niveau de l’affaire, les écarts mystico-esthétiques aussi laids que ceux qu’avait osé imaginer Darren Aronofsky dans The fountain. C’est entendu : vu qu’on est dans le bourrinage, pas la peine de chipoter, encore moins de ciseler, et les quelques atermoiements moraux d’Amleth (l’amour ou la guerre ? L’avenir ou le destin ? Être ou ne pas être ?) faisant office d’éventuelle profondeur scénaristique sont eux aussi d’une rare insignifiance.


Là encore, quitte à rabâcher et à bêtement comparer, dites au revoir à la belle âpreté de The witch et de The lighthouse. À la rigueur il eût fallu larguer les amarres totalement, crânement (mais Eggers l’a avoué, il a dû faire des concessions vis-à-vis de la production et n’a pas obtenu le final cut, et concède même que "le film n’est pas à la hauteur de mes espérances"). Refuser la moindre psychologie, surtout quand elle est si pataude. Préférer le geste artistique total au risque de braquer, de larguer pas mal de spectateurs, tant pis pour eux. Oser une radicalité comme avait su le faire Winding Refn dans Valhalla rising, autrement plus convaincant et percutant. On en revient donc à lui, à Winding Refn, ce qui, décidément, n’est pas bon signe.


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mymp
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le 15 mai 2022

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