(Critique écrite en 2016, alors que ma cinéphilie n'était qu'à son avènement.)


Subjugué. Oui, c'est sûrement le mot qui convient pour décrire mes sensations lorsque je me suis retrouvé face aux images de ce Grand Nord américain filmées par Alejandro Gonzalez Iñarritu. Je fus en effet subjugué par la force et la beauté de la photographie, mais aussi subjugué en tant qu'être humain face à la grandeur de notre dame nature. Je revois encore cette scène où Hugh Glass, trappeur infatigable joué par DiCaprio, traverse cet immense lac gelé. La caméra est en mouvement et se dirige droit sur lui, mais pourtant, le décor reste fixe, inamovible. La taille des montagnes en arrière-plan ne varie en effet pas malgré le fait que l'on s'en approche, car la perspective fait qu'elles paraissent peu éloignées de nous alors qu'elles sont en réalité très lointaines. Le mouvement de la caméra - mouvement de l'homme - n'a donc aucun effet sur le milieu naturel. Si l'homme doit s'adapter en fonction de la nature, la nature ne doit pas s'adapter en fonction de l'action de l'homme. C'est l'utopie parfaite de tout militant écologiste.
La nature est en effet au cœur du film. *The Revenant*, ce n'est ni plus ni moins que le combat d'un homme face à l'hostilité de la nature. Mais de quelle nature parle-t-on ici ?
On peut d'abord parler de la nature au sens commun, c'est à dire le milieu naturel auquel Hugh Glass est confronté, ainsi que sa faune. Il y a d'abord le combat contre le grizzli, qui aurait pu le mettre hors d'état de nuire mais qui introduit son aventure, puis celui contre les rapides et cascades, et enfin celui contre le froid du Grand Nord, contre lequel il lutte d'une manière plutôt originale (avis tout de même aux âmes sensibles). On inverse ici les rôles, ce n'est plus l'homme qui menace le milieu naturel mais le milieu naturel qui menace l'homme, et cela paraît être finalement dans la logique des choses.
Mais le véritable combat de Hugh Glass, c'est peut-être celui contre la nature de l'Homme. On retrouve en effet la théorie hobbesienne selon laquelle « l'homme est un loup pour l'homme ». Dans le film, chacun ne cherche que la survie et l'assurance de sa pérennité, et chacun est prêt à tout dans cet intérêt. Sans contrat social ni Léviathan apparent, seul le droit naturel prévaut, et chacun utilise donc sa puissance pour se préserver lui-même, ce qui explique la situation de guerre et de chaos du film. Iñarritu en est même allé de son aphorisme hobbesien : « nous sommes tous des sauvages », inscrit en français sur une pancarte autour du coup de celui qui était en voie de devenir le Dersou Ouzala de Glass avant d'être pendu, justement par des Français. Cette maxime prend tout son sens car elle remet également en cause la vision de l'homme blanc sur le « sauvage » indien. L'indien n'est sauvage que par son rapport à la nature, mais il n'est pas plus violent que ne peut l'être l'homme blanc, tout aussi sauvage que lui. John Fitzgerald, le personnage incarné par un grand Tom Hardy, est l'incarnation de cet homme hobbesien. C'est cet homme que Hugh Glass combat et poursuit par vengeance. Mais cette lutte contre la nature hobbesienne de l'Homme, c'est avant tout un combat contre lui-même, contre l'homme qu'il ne veut surtout pas devenir. Hugh Glass - personnage fortement avant-gardiste - a en effet bien perçu ce qu'était un sauvage, mais également ce qu'il n'était pas.
L'homme est cependant capable de faire de grandes choses s'il sait se dominer, et ce film en est l'incarnation. On peut considérer *The Revenant* comme l'aboutissement de la carrière d'Iñarritu, du moins jusqu'à nouvel ordre. Les grands thèmes de ses films précédents, comme le deuil ou la résurrection, sont ici condensés. On retrouve les plans-séquences de *Birdman*, toujours plus maîtrisés, qui donnent parfois l'impression d'une sorte de déconnexion de la réalité. La caméra qui plane au milieu du chaos lors de la scène d'assaut des indiens au tout début du film est en effet fortement détachée, comme si Iñarritu regardait la misère de la nature humaine d'un œil extraterrestre. La dernière scène rappelle également fortement celle de *Biutiful*, DiCaprio remplaçant Javier Bardem, le faisant d'ailleurs de manière magistrale. On aimerait dire pour l'encenser que DiCaprio porte à lui seul le film, mais ce serait oublier l'immense talent d'Iñarritu, mais aussi le génie d'Emmanuel Lubezki, son directeur de la photographie, qui - pour l'anecdote pas si anecdotique que ça - a dirigé la photographie des quatre derniers Malick. Certains comparent d'ailleurs *The Revenant* aux films de Malick, mais si l'on peut lui trouver des similitudes avec les premiers sur le plan esthétique, il apparaît tout de même difficile d'établir cette analogie au vu de la démarche artistique si personnelle suivie aujourd'hui par le réalisateur à l'aura si mystérieuse. L'influence du cinéma soviétique se ressent cependant fortement, de *Requiem pour un massacre* aux films de Tarkovski. Certains parlent d'ailleurs de plagiat des films de Tarkovski, je parlerais plutôt d'hommage.
*The Revenant* se termine par un bouleversant regard caméra de DiCaprio, je conclurai donc ma critique de la même manière, en m'adressant à vous, très cher lecteur, tout simplement en vous remerciant d'avoir eu le courage de lire mes mots jusqu'à leur terme.
Thiebs
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le 3 mars 2016

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