Aaaah. ENFIN quelque chose se passe comme prévu, dans le paysage cinématographique de cet hiver glacial. ENFIN une de ces trop rares parenthèses dans cette épidémie de grands ou talentueux cinéastes pondant des foirages plus ou moins sordides (Eastwood avec 15h17, del Toro avec son pathétique La Forme de l'eau, Garland avec Annihilation...), de mignonnes petites comédies dramatiques célébrées par la critique bourgeoise (Lady Bird), de machins en apparence mineur se révélant être de potentiels top 10 (Gaspard va au mariage, The Disaster Artist, et dans une moindre mesure Moi, Tonya...), de comédies à potentiel tutoyant des sommets de médiocrité (Downsizing), de PTA faisant enfin un film supportable (Phantom Thread), et de Black Panther se révélant réussi ! Tomb Raider, cru 2018, est EXACTEMENT tel que prévu. Et c'est reposant. Un peu déprimant aussi, mais si l'on s'est fait une raison, et rendu dans la salle en connaissance de cause, surtout reposant.


Au menu ! Nous avons donc :
- Un scénario d'aventures ARCHI-générique dont on devine quasiment tout d'avance : Lara va se planter dans la course à vélo parce qu'il lui faut un déboire pour enclencher le bazar, Lara va finalement dire non à l'héritage, Lara va avoir des ennuis à son arrivée à Hong-Kong pour la mener à tel personnage, Lara va être faite prisonnière, Lara va devoir tuer tel molosse en guise de baptême du feu, Grand Méchant va tuer tel pauvre type innocent pour montrer combien il est méchant, et oh, ce molosse-là va quant à lui s'empaler sur un piège à la con dans cinq, quatre, trois, deux, un... etc.)
- Une mise en scène ARCHI-générique que l'on doit à un énième réalisateur européen prometteur (en l'occurrence Roar Uthaug, auteur de The Wave) se brisant plus ou moins lamentablement les dents sur son passage à Hollywood. On dit que nul n'est prophète en son pays, mais ces pauvres artisans scandinaves, chinois, argentins, allemands ou encore français (n'est-ce pas, Kasso ?) initialement pleins de rêves dans les yeux ne seront pas forcément d'accord. Écrasé comme prévu par la taille de l'entreprise, Uthaug filme énergiquement mais sans inspiration cette succession de péripéties pas toujours stimulantes visuellement. En fait, il semble le faire de la façon la plus consensuelle possible pour s'attirer le moins d'ennuis possibles auprès du studio... parfois en imitant carrément des passages des cinématiques des jeux vidéo. Au final, le petit gars sera tout juste parvenu à faire quelque chose d'une ou deux scènes, comme celle de l'épave de l'avion, par exemple, qui nécessitait une certaine maîtrise de l'espace parce qu'elle part littéralement dans tous les sens. Bien maigre pour l'amour propre.
- Une Alicia Vikander ARCHI-Alicia Vikander, c'est-à-dire une actrice pas dégueu ni incompétente (cf. ses performances dans The Danish Girl et Une vie entre deux océans), mais aussi un miscast dans Tomb Raider. Soyons juste : elle est relativement crédible dans la première moitié, c'est-à-dire en nana sportive mais sans histoire qui s'en prend plein la gueule... mais comme elle joue Lara fucking Croft, un personnage d'exploratrice-combattante en devenir, et que les studios de cinéma sont du genre impatients, elle devient de moins crédible à mesure qu'on avance dans l'intrigue (on revient dessus plus bas). Surtout, Vikander manque cruellement des épaules pour jouer un personnage aussi spectaculaire sur tous les plans. Angelina Jolie avait au moins ça de bien qu'on la remarquait à son entrée, alors que Vikander, déjà moins...
- Un ARCHI-gaspillage de l'immense Walton Goggins (personnage culte de DEUX séries géniales, The Shield et Justified, DEUX !) dans un rôle de méchant (nommé Vogel... tremblez !) qui est prêt à toutes les saloperies parce que la richesse, le pouvoir, la renommée, et le blabla habituel, mais aussi parce qu'il est juste méchant. Ce genre de gaspillage est un crime impardonnable, si vous voulez notre avis.
- Enfin, une créature démoniaque/légende millénaire/malédiction bien pourrie susceptible de répandre la désolation sur la Terre entière (autre blabla habituel) dont on a ARCHI-rien à foutre. Ce serait bien qu’on en ait quelque chose à foutre, de temps en temps, dans ce genre de film, non ? Mais si, c’est possible, on y croit, petits scénaristes hollywoodiens.


Mais l'échec du film est plus intéressant à étudier, car Tomb Raider n'est pas un mauvais film comme Lara Croft : Tomb Raider (et il est loin d'être grotesque comme le second volet avec Jolie, il est important de le préciser). C'est plus tordu que ça. Certains voient dans ce dernier l'un des derniers films d'action hollywoodien des années 90, en ce qu'il est sorti moins de trois mois avant le 11 septembre. La caractéristique première de ces films : du fun pur, sans filtre, sans sous-texte, sans autre ambition que celle de divertir, une fois le cerveau du spectateur rangé dans un casier à l'entrée. Avec le 11 septembre, Hollywood a changé sa trajectoire comme l'Amérique entière, et a adopté un ton plus noir, comme il l'avait déjà fait dans les années 70, sous l'influence de la débâcle vietnamienne. Tout le monde ne sera pas d'accord, mais il y a fort à parier que les Jason Bourne n'auraient pas du tout cette gueule si le tragique événement n'était pas arrivé. Dans tous les cas, le phénomène a engendré de très grands films... mais aussi plein d'autres qui auraient gagné à n'être QUE du pur fun. C'est le cas de ce pauvre Tomb Raider, cru 2018, qui a littéralement le cul entre deux chaises : d'un côté, le cahier des charges du divertissement tel qu'il était rempli par le nanar avec Angelina Jolie (= des répliques kitschissimes, du fan-service sans subtilité, du sex-appeal racoleur, des cascades physiquement improbables, et de la psychologie atrocement sommaire) ; de l'autre, son désir de faire quelque chose de plus réaliste et sérieux (hum). Une recette de l'échec qui ne marche du coup pas vraiment, a fortiori dans le dernier acte. On reconnaîtra aux scénaristes leur tentative de nuancer un peu le tableau par moments, comme avec ce twist où l’on apprend la vérité sur Himiko (puisqu’on vous dit qu’ils ont essayé !), mais ça ne sera jamais qu’un crachat dans l’océan.


On ne s'ennuie pas pour autant, hein. Le pop-corneur qui ignorera la seconde chaise et dédiera toute son attention aux pifs-pafs et autres boum-boums n'aura pas trop à se plaindre, car le film est sans temps mort notable (ayant la bonne idée de durer 1h40). Simplement, l'humble auteur de ces lignes en a trop soupé. Trop pour encaisser un spectacle souvent ridicule qui a le mauvais goût de se prendre au sérieux. Au point, in fine, de n'en avoir rien à foutre quand Roar Uthaug rejoue la carte du fan service avec les pièges mortels de la crypte. Et quand, à la fin, Alicia Vikander prend dans ses petites mimines les deux flingues légendaires de la franchise, annonçant d'ores et déjà le deuxième volet, et joue la « badass »... disons qu'on n'est pas particulièrement pressé d'y être.


Il faut dire que sérieusement : avec son mètre cinquante, son corps de garçonnet (annonciateur d'une tendance, dans un Hollywood progressiste amateur de mâles beta et de genre neutre ?), et ses cris de fillette (ce qui contredit un peu notre thèse, mais bon...), on a beau nous rappeler qu'il s'agit d'une « origin story » et que fifille va prendre de la bouteille par la suite, y a pas à dire, le résultat ne cadre pas avec ce personnage d'aventurière aussi sexy qu'imposante et au charisme irradiant comme celui d'un Harrison Ford au féminin. Ça ne marchera qu'auprès des adolescentes. On n'est pas contre l'idée de désexualiser un poil le personnage (quoique son sex-appeal participait un peu du charme du personnage, à la base...), mais basculer dans l'excès inverse au nom d'un « girl power » bizarrement pudibond est une encore moins bonne idée. Surtout quand ce « girl power » autorise une minette de trente kilos à noyer un béret vert dans une flaque de boue par la seule force de sa masse corporelle. Oui-oui, c'est de la fiction, faut arrêter d'être si littéral, etc., mais non-non, rien à foutre. Le plus amusant, dans tout ça, étant que le duo à potentiel que forment Vikander et Daniel Wu (quand est-il passé du cinéma hongkongais à ça ?!) ne sera jamais exploité, restant parfaitement platonique alors que l'actrice est bien plus à l'aise dans le répertoire romantique que dans le répertoire guerrier...


En bref, comment résumer le ratage qu'est Tomb Raider, cru 2018 ? Sympathique en tant qu'adaptation de jeu vidéo, dont les « gamers » amateurs de la franchise rebootée apprécieront sa fidélité à l'esthétique et à l'esprit des jeux ; littéralement insignifiant en tant que film de cinéma. Or... n'est-on pas allé voir ce truc dans un CINÉMA, déjà ?


Note : Quelqu'un, dans la salle, a-t-il douté un seul instant que Kristin Scott-Thomas s'avérerait être une méchante, à la fin ? Elle joue le même rôle que dans Largo Winch...

ScaarAlexander
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le 18 mars 2018

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Scaar_Alexander

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