Tir aux pigeons !
Nous n’avions plus signe de vie de Roy Anderson depuis 2007 avec la sortie de l’étonnant et quelque peu perturbant « Nous les vivants ». Logique puisqu’il peaufinait le dernier volet de « la trilogie...
le 6 mai 2015
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Dans ses films tragi-comiques, le réalisateur Roy Andersson crée une succession de tableaux vivants mettant en scène des situations banales et absurdes de la vie quotidienne qui révèlent implicitement des problèmes sociaux et existentiels. Sa critique sociale porte sur les structures économiques et institutionnelles qui entravent le développement de relations sociales significatives permettant la reconnaissance des autres et de soi-même, engendrant alors de la violence symbolique (processus par lequel un individu intériorise un regard extérieur dévalorisant et se dévalorise lui-même) de la réification (processus par lequel les relations sociales entre les individus prennent la forme de relations entre des objets inanimés ou des marchandises, transformant les sujets en objets) et de l’aliénation (processus par lequel les individus deviennent étrangers au monde, aux autres et à eux-mêmes). On retrouve ici l'analyse situationniste de la société du spectacle, et notamment la critique des médias qui offrent comme remède à la monotonie quotidienne l'illusion de l'action par l'identification empathique du spectateur aux expériences de vie représentées à l'écran, laquelle ne fait en réalité que maintenir et prolonger sa passivité. Des personnages anonymes aux teints blafards sont confrontés à la solitude et à l'absence de sens errent en étant désengagés, purement spectateurs de leur propre vie et du monde, incapables de ressentir de l’empathie et de la culpabilité face aux injustices et à la souffrance des autres. Tandis que même la religion ne parvient plus à les soulager (on peut dire que l’opium ne fait plus effet, en référence à la formule de Marx), ils tentent désespérément de fuir leur condition absurde par le divertissement. Chaque scène, qu’il qualifie d’« image complexe », est tournée en plan fixe et sans point focal précis pour inviter le spectateur à sortir de la passivité en engageant la réflexion et en cherchant ce qui est important et pourquoi, le transformant peu à peu en observateur attentif de la vie sociale et en agent impliqué dans le monde.
L'absurde comme relation des humains au monde ne serait donc pas une donnée universelle et intemporelle comme le soutient Camus, mais une situation contingente favorisée par certaines organisations sociales historiquement déterminées :
"La pauvreté primitive de son projet dispense le sous-homme de chercher à le légitimer : il ne découvre autour de lui qu’un monde insignifiant et terne ; comment ce monde dépouillé susciterait-il en lui un désir de sentir, de comprendre, de vivre ? Moins il existe, moins il y a pour lui de raisons d’exister, puisque ces raisons ne se créent qu’en existant. […] Le prolétaire […] peut fuir sa liberté, la dissiper, végéter sans désir […] ; et la ruse d’un capitalisme éclairé, ce sera de lui faire oublier son souci de justification authentique, lui proposant, au sortir de l’usine où un travail mécanique l’absorbe dans sa transcendance, des divertissements où celui-ci achève de se perdre" Simone de Beauvoir, Pour une morale de l'ambiguïté.
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Créée
le 7 mars 2024
Modifiée
le 7 mars 2024
Critique lue 14 fois
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