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Sous le soleil terne de Medellín, Un poète déploie la lente dérive d’un homme autrefois promis à la grandeur et désormais prisonnier de sa propre impuissance. Simón Mesa Soto observe Óscar Restrepo avec une précision sans éclat, comme on scrute un visage usé qu’on aurait cessé d’aimer. La caméra ne le juge pas : elle l’écoute s’enliser. Dans ce monde où la poésie n’a plus d’adresse, où les vers se dissolvent dans la poussière des bars et la moiteur des bus, le film invente un espace fragile entre désespoir et beauté, lucidité et hallucination. On y sent battre la fatigue d’un continent, la fêlure d’une langue qui ne trouve plus à qui parler. Le cinéaste ne cherche pas la démonstration : il laisse la lumière faire le travail du silence. Chaque plan semble suinter d’une chaleur résignée. Les couleurs, brunes et vertes, s’éteignent lentement comme des souvenirs d’enfance. Ubeimar Ríos, dans le rôle d’Óscar, porte cette lente extinction avec une noblesse épuisée. Sa voix se brise sur les mots qu’il ne parvient plus à écrire. Face à lui, Rebeca Andrade (Yurlady) incarne la promesse et la menace : celle d’une parole neuve que l’ancien ne peut ni comprendre ni accepter. La relation entre eux, d’abord tutélaire, glisse vers une dépendance trouble où l’art devient le masque d’une appropriation. Le film parle de transmission mais raconte surtout l’échec de toute filiation spirituelle. Le poète n’enseigne rien ; il vampirise, espérant que la jeunesse d’une autre rallumera sa propre flamme. Mesa Soto évite la morale. Il filme la ruine d’un idéal, l’injustice d’une époque qui confond reconnaissance et visibilité. Le rythme, d’une lenteur presque tactile, impose au spectateur la même torpeur que celle d’Óscar. Cette inertie devient poétique : elle transforme la pauvreté en matière sensible, la honte en climat. C’est là que le film touche juste : dans cette obstination à ne pas enjoliver, à montrer la médiocrité comme un fait de chair. La mise en scène, pudique et frontale, s’inspire autant du réalisme magique que du documentaire social. On pense à Apichatpong ou à Lisandro Alonso : une caméra qui ne commente pas, qui accompagne. L’écriture visuelle suggère l’intériorité sans la nommer ; la poésie y passe moins par les mots que par la cadence des gestes, la respiration des plans fixes, l’usage de la nuit comme refuge. Par instants, la beauté surgit d’un rien : un poème récité dans une cour d’école, une cigarette au bord d’un fleuve, une adolescente qui écrit pour exister. Ces éclats, rares, donnent sens à l’ensemble. Mais la deuxième moitié du film, plus démonstrative, perd en tension. Mesa Soto insiste là où le silence suffisait. La tragédie d’Óscar s’épuise dans la répétition. La musique, discrète, peine à rattraper cette baisse d’intensité. Reste une œuvre habitée, imparfaite, dont la lenteur assumée fera fuir certains mais séduira ceux qui savent que la beauté, parfois, se nourrit du désastre. Un poète n’est pas un film sur la poésie ; c’est un film-poème sur la disparition du poète. Note : 14 / 20
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