le 26 mai 2025
Les bourreaux meurent aussi
On peut être passionné depuis bien longtemps par le cinéma iranien et saluer le courage de ses réalisateurs qui réussissent à tourner, même sous la contrainte ou sans autorisation, et trouver que Un...
SensCritique a changé. On vous dit tout ici.
ATTENTION SPOILERS !!
Compte tenu de ses nombreuses incarcérations orchestrées par le régime iranien, des personnes qu'il aurait rencontrés lors de son emprisonnement et de son tournage quasi clandestin, Jafar Panahi semblait revenir au cinéma avec un film bouillonnant. En effet au vu du thème qu'aborde le film ainsi que de son atmosphère ironique et oppressante basé sur la présence d'humour noir, on aurait pu croire que Jafar Panahi voulait prendre sa revanche envers le régime iranien. Et ce tout en réalisant dans le même temps la volonté de ses amis prisonniers, déversant leur haine contre leur oppresseurs ainsi que celle de son collègue cinéaste Mohammad Rassoulof maintenant exilé en Allemagne après avoir réalisé "Les Graines du Figuier Sauvage" sorti en salles l'année dernière et qui proposait également une critique du régime iranien très métaphorique.
Pourtant, il ne s'agit pas ici d'un film énervé et désireux de vengeance mais plutôt d'un film profondément humaniste. Humaniste dans sa manière de filmer ses personnages avec une mise en scène aussi frontale qu'inclusive et où Jafar Panahi utilise au maximum le peu de moyens qu'il possède pour pouvoir transmettre des émotions fortes à l'écran. La mise en scène fonctionne en grande partie sur la suggestion car elle utilise à de nombreuses reprises l'utilisation de hors champs ou le travail sur le son parvient à transmettre une émotion ressentie du personnage directement au spectateur et ce sans qu'il ne sache précisément ce dont il est question.
Je pense notamment à la scène où le protagoniste entends le bruit de "la guibole" qui retentit et lui provoque une forme de malaise perceptible et que le protagoniste nous partage.
Ou bien des plans séquences où la caméra se situe à un angle proche du personnage qu'elle filme lui permettant d'épouser son point de vue. Et contre toute attente le film n'épargne aucun personnage en terme de frontalité puisqu'il démarre directement en nous offrant le point de vue du bourreau dont on découvre l'identité justement à cause "d'un simple accident" qui se trouve être un chien renversé par la voiture du personnage par accident lors d'un plan séquence où le hors champ est également appuyé (on ne découvre que c'est un chien que lorsque le personnage nous en fait part) ainsi que le travail des lumières (rouges pour la plupart) pour transmettre à l'écran ce que le hors champ ne montre justement pas. Passé cela le film commence véritablement avec un changement de point de vue aussi fluide qu'inattendu car on croyait avoir affaire auparavant au protagoniste du film.
On a donc avoir affaire au personnage de Vahid, qui pense avoir retrouvé son tortionnaire en raison du bruit de sa jambe artificielle mais qui dès la capture de l'individu va se mettre à douter de son identité malgré un signe distinctif plutôt flagrant et de se poser également la question avec d'autres individus de sa légitimité de se venger de cette personne. Là où la frontalité est efficace c'est qu'elle permets au spectateur de s'identifier complètement aux personnages car le simple fait que Vahid se mette à douter de ses agissements nous permets nous aussi, spectateurs de douter avec lui et de se reposer inlassablement la même question que les personnages alors que nous connaissons déjà la réponse depuis la scène d'introduction.
Cette identification par la mise en scène permets aussi plutôt facilement l'attachement des personnages qui se crée de part la profonde empathie que le réalisateur leur transmets et ce avec une absence de jugement moral. Je pense notamment au plan fixe dans le désert où la caméra est centrée sur le personnage d'Hamid recrachant la radicalité de son propos mais dont le rythme est appuyé sur des mouvements panoramiques sur d'autres personnages apportant une vision supplémentaire sur la situation. Il se crée également par le fait qu'il s'agit justement d'un film choral ce qui se combine parfaitement bien avec sa dimension de comédie italienne qui s'appuie sur la présence d'humour noir. On voit bien a l'écran que Jafar Panahi comprends ses personnages car il les a en quelque sorte déjà rencontrés et témoigne ici de leur bonté via le doute qu'ils opèrent.
L'idée de jugement n'est cependant pas complètement absente du film, au contraire elle se manifeste via un symbolisme culturel présent une fois encore autant dans la mise en scène que dans la psychologie des personnages. Nombreux auront remarqué la présence récurrente des chiens à plusieurs moments du film dont le réalisateur crée lui même un parallèle entre ces chiens et les victimes de "la guibole" dans la scène d'introduction et qui apparaissent au début de chaque prise de décision des personnages à l'égard de celui ci. C'est d'ailleurs un symbole que l'on pouvait déjà retrouver 16 ans auparavant avec le film israélien "Valse avec Bashir" d'Ari Folman où le film s'ouvrait également avec un homme hanté par les 26 chiens de garde qu'il avait tué lors de son service pendant la guerre du Liban. Le second symbolisme est religieux et se caractérise dans le personnage de la photographe nommée Shiva qui est d'ailleurs le nom d'une divinité indienne synonyme de connaissance et de sagesse universelle. Elle demeure d'ailleurs le seul personnage raisonnant les autres dans leur folie malgré le fait qu'elle partage leurs mêmes souffrances. Ce sera d'ailleurs ce même personnage qui exercera son jugement et décidera du sort final de "la guibole" au sein d'un climax turbulent et émotionnel.
Finalement, les deux éléments qu'on a pu voir dans ce film semblent également s'entrechoquer dans l’irrésolution de la scène finale (comme cela est devenu tendance dans les palmes d'or actuelles) prenant la forme d'un chiasme car elle utilisera les mêmes techniques de mise en scène que la séquence d'ouverture mais avec un point de vue différent. Elle désignera alors soit l'idée d'un cycle imperturbable qui témoignerait d'un profond pessimisme de la part du réalisateur. Soit elle démontrera l'espoir que Jafar Panahi nourrit au sujet de l'évolution du régime iranien dans les années à venir. Cependant, compte tenu de l'humanité qu'il a réussi à transmettre en ses personnages, prévalant leurs valeurs d'êtres humains face à leur soif de vengeance personnelle ainsi que de sa confiance absolue envers son spectateur (qui restera le seul et unique juge de cette résolution) je ne peux m'empêcher de penser que Jafar Panahi semble plutôt pencher pour la deuxième option.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2025 et Année Cinéma 2025
Créée
le 6 nov. 2025
Modifiée
le 18 nov. 2025
Critique lue 5 fois
le 26 mai 2025
On peut être passionné depuis bien longtemps par le cinéma iranien et saluer le courage de ses réalisateurs qui réussissent à tourner, même sous la contrainte ou sans autorisation, et trouver que Un...
le 1 oct. 2025
La rencontre avec son tortionnaire a nourri quelques-uns des plus poignants récits de ces dernières années : Incendies, de Mouawad, adapté par Villeneuve, ou plus récemment Les Fantômes de Jonathan...
le 29 mai 2025
Depuis quelques années, on sent que le Festival de Cannes veut primer de sa Palme d'or des propositions populaires : Anatomie d'une Chute en 2023, ou encore Anora en 2024. Et c'est selon moi une...
le 14 sept. 2025
Summer Wars apparait pour beaucoup comme le film le plus ambitieux de Mamoru Hosoda, du moins en apparence. En effet la promesse du film résidait dans le fait de représenter un grand spectacle basé...
le 23 août 2025
A l'approche de la sortie au cinéma du film "28 Ans Plus Tard" toujours sous la réalisation de Danny Boyle et l'écriture d'Alex Garland, le visionnage de ce film devenait de plus en plus urgent...
le 30 avr. 2025
À vrai dire ce film n'a jamais été dans mes projets de visionnage de l'année. Tout d'abord le fait que sa direction ait été confiée a Ryan Coogler ne m'avait pas vraiment convaincu, son cinéma ne...
NOUVELLE APP MOBILE.
NOUVELLE EXPÉRIENCE.
Téléchargez l’app SensCritique, explorez, vibrez et partagez vos avis sur vos œuvres préférées.

À proposNotre application mobile Notre extensionAideNous contacterEmploiL'éditoCGUAmazonSOTA
© 2025 SensCritique