Coïncidence ou réel climat d’inquiétude de la part des cinéastes américains actuels ? Le nouveau Paul Thomas Anderson (PTA pour les intimes) présente de nombreuses similitudes avec le récent « Eddington » : son décor désertique renvoyant à l’imagerie du western, sa violence sèche mais surtout ce constat terrible sur la fracture idéologique touchant les Etats-Unis d’aujourd’hui.
Deux différences tout de même entre les deux longs-métrages : tout d’abord l’inversion de point de vue avec comme protagoniste, ici, un libertaire/gauchiste (vs le maire Ted Garçia en second rôle dans « Eddigton ») et comme antagoniste un représentant « Trumpiste » (vs le shérif Joe interprété par Joaquin Phoenix).
Autre différence de taille : une plus grande maitrise scénaristique ici que dans le long-métrage de Ari Aster qui s’avérait au final très brouillon.
En effet, PTA, après 3 films très respectables mais m’ayant laissés assez froid, revient en belle forme.
Sa mise en scène brillante mais non ostentatoire (comme certains ont pu lui reprocher dans sa 1ère partie de carrière) nous réserve de grands moments de cinéma : la fuite de Pat/Bob avec une belle gestion des plans-séquences accompagnée par une BO obsédante du fidèle Jonny Greenwood (aussi stressante dans ces scènes que lyrique dans les moments plus dramatiques), la confrontation de Lockjaw
avec sa fille dans l’église
qui exploite parfaitement ce décor (nanisant ainsi les personnages).
Et en bonus le cinéaste nous offres des séquences d’actions jusque-là absentes de sa filmographie :
la poursuite finale dans les collines désertiques risque de faire date pour la gestion de son décor avec cette caméra rasant le bitume et ces voitures apparaissant/disparaissant du champs.
Sur le fond, le réalisateur sait exploiter avec talent tout le contexte politique et les différents arcs/nœuds narratifs. Il arrive à rendre son récit constamment tendu (2h40 filant à grande vitesse) tout en se permettant de surprenantes variations de rythme et autres digressions scénaristiques : les 30 premières minutes (environ), au ton romanesque et ample,
avec ses deux ellipses (9 mois puis 16 ans)
en opposition à la suite, mix de tension et de rocambolesque/comique (Léonardo DiCaprio aussi touchant qu’amusant en papa mi- révolutionnaire, mi-loser/pied nickelé), en quasi-temps réel. Par exemple, tout ce qui tourne atours des codes utilisés par les révolutionnaires est très drôle
(cf la scène du téléphone et la question sur l’heure).
Cet humour n’amoindrit en rien le constat et le propos cinglant sur la radicalisation de la société américaine (qu’on peut aussi hélas voir dans de nombreux autres pays ; la France n’en est pas loin) : les révolutionnaires antifascistes vs l’extrême droite dont le personnage de Lockjaw, interprété par un monstrueux Sean Penn, en est l’effrayant représentant.
Ce dernier, à la frontière du cabotinage mais qu’il contourne avec brio, dévoile, sous ce corps rugueux, sec et musculeux, les fêlures d’un personnage finalement plus pathétique que réellement diabolique :
les passages d’amour/haine avec Perfidia et sa fille révélant toutes ses contradictions ou bien le final avec cette envie presque enfantine, qui le mènera à perte, d’intégrer le club « à la mode ».
Autours des principaux protagonistes gravite une galerie de personnages hauts en couleurs qui donnent corps à l’univers du film, lui conférant une forme de mythologie, et qui renforce le contraste entre ces deux Amériques irréconciliables:
les suprématistes blancs (au nom délicieusement ironique des « Aventuriers de Noël ») contre les religieuses révolutionnaires et le personnage du « Sensei » interprété avec malice par Benicio Del Toro (le potentiellement culte : « I'll tell you what freedom is: no fear. Like Tom fucking Cruise » !)
« Une bataille après l’autre » s’avère ainsi un grand film politique, un geste de cinéma enragé comme le cinéma américain n’en délivre plus que rarement (colère portée notamment par deux actrices, peu connues mais incandescentes: Teyana Taylor et Chase Infiniti dans les rôles de la mère et de fille ;
la seconde prenant le relais de la première et donnant tout sens au titre )
mais il s’agit au final d’une belle histoire de paternité/filiation compliquée
(doublement ici avec ses les 2 pères, adoptif et biologique, que sont Pat/Bob et Lockjaw)
comme les affectionne PTA.
Un vrai exemple de cinéma d’auteur à la fois populaire et exigeant et donc particulièrement précieux.