Ah la la... Paul Thomas Anderson... Un cinéaste si grandiose avec si peu de films à son actif... Le fantastique Boogie nights. Le déchirant Magnolia (découverte et coup de coeur au premier visionnage). Le puissant There will be blood... Et puis la déchéance avec Inherent vice. Pas encore vu phantom thread (m'en fous). Et maintenant Une bataille après l'autre... C'est très drôle, je revois encore les nombreuses critiques internet qui défendent le film avec des "C'est une fable moderne, il ne faut pas la prendre littéralement..." ou du "Le film est plus nuancé qu'il n'en a l'air, Di Caprio est blanc." ou enfin "Le film accorde autant de temps aux différents camps pour développer leurs enjeux". Oui, à la fin, ça ressemble à une comédie. Une comédie à s'en arracher yeux et oreilles.


C'est donc parti pour la nouvelle guerre de sécession des USA, autour de la question raciale donc. Voyons donc les nuances qui sont donc avancées par le film. Tous les blancs ne sont pas militaires racistes antisémites homophobes. Non, il y a aussi des marxistes anti-flic pro immigration en couple mixte (tous les blancs et blanches "positif.ve.s" sont en couple mixte) qui flirtent avec le terrorisme politique. C'est en effet une nuance. Les noirs et mexicains sont donc tous des combattants de la Liberté qui font corps avec les minorités invisibles (lgbt et... heu... les autres), pas un seul "n3gre de maison" qui collaborerait avec l'ennemi des-gènes-errant (car on sait que les policiers ou les militaires de couleur, ça n'existe que dans les films de propagande)... Pas de question religieuse, sinon quelques mentions chrétiennes qui sont reprises par les deux camps. Pas de cartel de drogue, sinon pour servir de prétexte à la lutte anti-immigration du gouvernement blanc fasciste, lui même prétexte à une purification raciale du pays souhaitée dans les loges secrètes du pouvoir blanc (vous savez, le truc de la chouette des républicains)... Et dans ce bourbier se démènent les rebelles du "French 75".


La première demi-heure est un condensé de rébellion marxiste anti capitaliste pro migrants anti-establishment qui mettra déjà en PLS le patriarcat blanc au vu de l'intensité de sa mise en scène et de son soutien indéfectible au progrès. Et on enchaîne ensuite avec la situation que voulait explorer le film, à savoir d'anciens terroristes/combattants de la liberté qui se retrouvent en face d'un blanc fasciste désireux de faire le ménage dans son passé. Car ce gwer de mauvais aloi a un penchant fâcheux pour la "chatte noire" (cité textuellement du film, le propos libidineux autour du sexe inter-racial est au centre même du récit), qui risquerait de lui valoir des ennuis dans sa hiérarchie. Et c'est curieusement là que le film tient sa meilleure idée. Non dans son délire racialiste sur lequel nous reviendrons, mais dans son parcours émotionnel. Un militaire suprémaciste qui se découvre une fille et donc une famille qu'il n'avait jamais attendu et une jeune adulte élevée par un père marxiste et drogué pour supporter le quotidien fasciste (Di Caprio toujours crédible en roue libre totale, il est assez drôle sur la longueur). Il y avait là une confrontation et un enjeux d'ampleur, la collision de deux visions du visions du monde superposées à des émotions contradictoires. L'essence d'un chef d'oeuvre. Qui se résument à 15 minutes d'invectives et de hurlements avant une séparation décidée par cet infect blanc raciste pour qui la réputation compte plus qu'un membre de la famille. Cela pourrait être un choix purement émotionnel (dans une oeuvre, les personnages peuvent aussi faire des choix inattendus pour partir dans telle ou telle direction), s'il n'était constamment mélangé à des opinions politiques d'extrême-démocratie visant à nous rappeler constamment quel est le camp du bien (des fois que le spectateur ait zappé entre temps ou ne soit pas très concentré).


Parler de malaise serait exagéré ici, puisque la frontalité du film nous maintient constamment dans une vision des choses cohérentes dans la relecture du film de la réalité. Le film part en effet de nombreux faits réels (crise migratoire, tensions sociales, militantisme et répression...) pour les réinterpréter à sa sauce et ainsi inverser de nombreuses situations (martyr des migrants mexicains - aucun cartel de drogue visible, agressions d'extrême droite - défense d'extrême gauche, conservateurs blancs antisémites (sérieusement ? Les conservateurs ? Antisémites ? Aujourd'hui ? Et sans mentions de la Palestine ?), ect...). Car pour avoir un bon film, il faut avoir un film manichéen et mené tambour battant. Surtout quand on traite de thématiques politiques. Il y a toutefois un point intéressant soulevé par le film autour du racialisme. Oui, parce qu'en Amérique et dans le reste du monde autour de la France, la race existe. C'est la nécessité de noircir la race blanche. Cette couleur terne, symbole d'oppression, symbole de violence, pire engeance jamais supportée par la Terre depuis l'apparition de Lucifer, ne devrait finalement son salut que par sa dissolution, sa dilution complète dans le spectre de l'ébène chaleureux. Désolé, je dois passer en spoiler pour justifier cette assertion pourtant en droite ligne de la logique du film :


Outre tous les couples mixtes pro révolutionnaires que nous avons suivis au cours du film, notre blanc suprémaciste accro à la chatte noire finit purgé par ses supérieurs pour préserver la pureté de la race, et ça sonne quand même comme une leçon bien méritée et une conclusion adaptée. A gauche on mélange et on noircit (mais on va éviter de le dire, ça serait trop voyant à souligner, contentons nous de le faire) et à droite on purge pour rester bien blanc entre blancs racistes décomplexés (et c'est donc ce film progressiste qui le voit ainsi et nous le délivre ainsi). On a donc une des plus pures visions suprémacistes raciales en situation finale (blanc d'un côté / noirs, marxistes déconstruits et mexicains de l'autre) qu'il m'ait été donné de voir dans un film moderne. Dans un film de gauche.


Il y a deux échelles quand on considère les problèmes sociaux. L'échelle individuelle, et l'échelle sociétale. La Gauche et la Droite les inversent toujours constamment lors de débats sur les différents problèmes (sur l'immigration, la gauche parle de parcours individuels difficiles et de pauvreté extrême, la droite parle insécurité et paupérisation, ect...). Ici, tout est purement vu sous un prisme militant d'extrême gauche, et tout cela n'a plus rien à voir avec le réel (comme tout discours militant vindicatif, quelque soit le camp observé, et parler de fable serait malvenu ici vu la persistance du film à vouloir s'encrer dans une vision politique de son contexte). Si le film n'était pas aussi militant et criard dans ses détails (ce gros esclavagiste de Benjamin Franklin, rien d'autre, c'est tout ce qu'il faut retenir de lui), j'aurais pu aller jusqu'à 4/10, car Paul Anderson sait faire du cinéma, instiller une tension, faire monter un enjeu. Sean Penn aussi parvient à donner de l'épaisseur à son personnage, tout comme Di Caprio parvient à nous faire rire avec son révolutionnaire gauchiste maladroit qui mise tout sur notre appréciation du "bon camp". On pourrait même pousser jusqu'à trouver des similitudes avec le cinéma des frères cohen (qui ont produit leur lot de comédies pas drôles également comme A serious man). La nouvelle guerre de sécession raciste est un joyeux bordel, et nous sommes invité à... A quoi faire d'ailleurs ? Tout de même pas à prendre parti et y participer, j'espère... ? J'ai déjà eu du mal à en rire... Pas la première fois d'ailleurs qu'on me vend un tract politique sous couvert de "comédie" pour tenter de faire passer la pilule #Ilestderetour...

Voracinéphile
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le 14 nov. 2025

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