Le doute.
À l'aune d'une actualité de plus en plus brûlante et polarisante, où le monde pourrait sombrer dans des dérives qu'on croyait de l'ordre du passé, Paul Thomas Anderson signe le portrait d'une Amérique en perte d'idéal, où toute forme de mesure semble avoir disparu.
Est-il encore surprenant de pointer les extrémistes de tout bord comme un vrai problème de société, à l'heure actuelle?
En tout cas, Paul Thomas Anderson n'aurait pu prévoir que le réel se chargerait d'accréditer les craintes émaillant son long-métrage, quand il ne les dépasse pas carrément.
Rien d'étonnant non plus à ce que chacun y aille de son interprétation (erronée) du sujet du film; certains y voyant une "apologie du terrorisme", là où d'autres ont pu y déceler un film politiquement engagé mais simpliste dans son exécution et sa caractérisation des luttes.
Pourtant, il faut s'être mis de sacrés oeillères pour affirmer sans trembler le "manque de nuance" du film. Comme on a coutume de dire, l'avis d'une personne vis-à-vis d'une oeuvre d'art en dit souvent plus long sur elle-même que sur ladite oeuvre.
Car Une bataille après l'autre, c'est avant toute chose un miroir tendu sur l'être humain: ses failles, ses actions éclatantes, l'absurdité de ses combats — qu'il faut malgré tout poursuivre en vue des lendemains qui chantent.
Peu importe les idées qu'on choisit de défendre, les causes auxquelles on donne foi, entrer en lutte est autant la fin que le début d'une vie.
C'est devenir père, c'est devenir adulte, c'est devenir membre d'un groupe voire d'une société.
C'est choisir de se désister (Perfidia) ou de s'engager (Willa/Charleen). Peu importe qui on est, c'est par le parcours qu'on naît. Le concept est d'ailleurs visuellement représenté, de manière explicite, par ce plan de l'amazone enceinte, de même qu'avec ses mouvements de caméras en quasi vue subjective. Les habiles travellings évoluant à travers les dénivelés de la route de macadam, évoquant les mouvements gracieux d'un bateau pris dans les vagues. Comme être balloté au coeur d'une tempête. Sentiment amplifié par la bande original signée Jonny Greenwood, dont les notes confèrent à l'objet un charme insaisisable à travers un rythme à la fois rapide et lancinant.
Mais Une bataille après l'autre, c'est aussi un véritable théâtre vivant, avec ces corps errants dans des décors vides et isolés, des corps gesticulants en tout sens, et des visages. Des visages grimaçants, des expressions faciales dont le film en 35 millimètres capte le moindre détail.
Il en va d'un Sean Penn habité, dont la pantomime mécanique et la moue bouffie traduisent le ridicule, l'absurde obédience martiale et les idéaux décallés.
Mais surtout, la révélation du film se fait à travers le regard d'innocence et de force d'une surprenante Chase Infiniti, à l'aise face aux monstres de cinéma qui l'entourent. Une jeune femme dont on ne peut que souligner la justesse de jeu et le sérieux dans cette sorte de ballet perpétuel. Une actrice éclatante, à qui on ne peut que souhaiter de voir sa carrière décoller après ce premier film!
En conclusion, Une bataille après l'autre est une oeuvre nerveuse, déjantée, poétique et vibrante d'humanité. Un long-métrage dont un visionnage unique ne permet pas d'apprivoiser toutes les subtilités. À voir et à revoir.