Après avoir réussi à se faire connaitre du public grâce à l'Enfer des Armes, film extrêmement trash et provocateur pour l'époque, et à redorer son blason auprès des producteurs en réalisant la comédie All the wrong clues, Tsui Hark, grande figure de la Nouvelle Vague Hongkongaise, établit des connections avec Raymond Chow, patron de la Golden Harvest, prestigieuse boite hongkongaise, ayant déjà produit un paquet de succès avec Bruce Lee et Jackie Chan.


Le hongkongais foutraque mûrit depuis plus de 15 un Wu Xia Pian (film de sabre chinois) fantasiesque totalement bariolé et surréaliste censé rendre hommage aux romans de cape et d'épée de son enfance, tout comme Spielberg et Lucas rendaient hommage aux Pulps de leur enfance avec vous-savez-quels-films, et se voit offrir ce qui était à l'époque le plus gros budget de l'histoire du cinéma hongkongais, le studio voulant produire un film bien divertissant avec beaucoup d'action, histoire de concurrencer ce film science-fictionnel sorti en 1977 avec des types en peignoir qui se battent avec des épées multicolores (fait intéressant, quand on y pense, qu'un film aussi influencé par le cinéma de Kurosawa influence à son tour tout un pan du cinéma asiatique).


C'est ainsi que ce film dense et généreux, adaptation des Epées duelles Pourpre et Verte, de Huanzhu Louzho, sort après 9 mois de tournage en 1983, et va complètement dynamiter les codes du genre, et lui donner un nouveau souffle dans les années 80.
L'histoire suit les tribulations rocambolesques d'un lettré taoïste, de deux moines et d'un soldat , destinés par la force des choses (et du scénario) à accomplir un long périple dans un monde fantasiesque aux allures de Chine médiévale, afin de vaincre un démon très fort et très méchant qui veut détruire le monde parce qu'il est méchant.


Dit comme ça, cette histoire (d'ailleurs assez confuse dans sa seconde partie) semble classique, mais Tsui Hark détourne les différents archétypes de son oeuvre pour renouveler un genre très codifié, ainsi, Ti Ming-Chi, personnage principal appelé à devenir très balèze (où l'on s'attend dans un Wu Xia à ce qu'il soit sérieux et courageux) a un caractère de side-kick et est assez lâche pour faire le mort en pleine bataille. Son mentor, le maître taoïste, puissant épéiste et chasseur de démons redoutable, ne fait pas grand-chose pour remédier aux problèmes du monde. Les gentils sont aussi fringués en blanc, et les méchants en rouge et noir. Les personnages féminins du film ne sont pas non plus des plantes vertes en détresse, mais de puissantes guerrières participant activement à la lutte contre le mal.
De plus, le manichéisme délibéré et les enjeux simples ne sont pas ici par manque de prises de risques, mais au contraire pour décupler la portée tragique et la capacité d'émerveillement du spectateur que possède le film :


"J'imaginais Zu comme un univers complètement surréaliste, peuplé de gens se demandant comment se définir dans un monde très simple se réduisant au Bien et au Mal.
C'est un univers très basique (...) ça va jusqu'au point où vous commencez à vous sentir dans un monde où tout est facile. Et puis vous rencontrez un ennemi redoutable.
Tout devient alors extrême dans la façon d'appréhender les situations.
Les relations gagnent en romantisme, de par cette simplicité même. Parce que de cette façon, j'interagis avec vous, et réciproquement.
Finalement, on réalise que ce monde est amusant, comme un conte de fée.
(...) je pense que Zu est comme si, après une fête, vous alliez voir ce film parce que vous seriez ennuyé à cause des invités et que Zu est une autre fête
."


Extrait d'une interview de Tsui Hark, disponible dans les bonus du DVD.


Tsui Hark, c'est aussi un réalisateur contrebandier, qui a l'habitude d'apporter des éléments politiques sous-jacents dans des films destinés à priori au pur divertissement, comme dans Histoires de cannibales, qui mêle polar et film d'arts martiaux sur un île peuplée de cannibales, dénonçant le consumérisme, ou même faire totalement l'inverse, comme dans la récente et sympathique Bataille de la montagne du Tigre, où il vide le film de toute sa substance propagandiste afin d'en faire un pur divertissement avec tout plein d'explosions et de gunfigths.


Il ne déroge pas à la règle dans Zu, en montrant l'absurdité de la guerre (et surtout de celles qui traversèrent son pays), par des batailles futiles entre armées différenciées uniquement par la couleur, et qui ne se rendent pas compte du véritable danger, comme le montre ce dialogue au début du film où Ti Ming-Chi fraternise avec un soldat (d'ailleurs interprété par Sammo Hung) issu d'une autre armée :


-D'où tu viens ?
-Du village à gauche de Sanli Pu.
-Je viens du village à droite de Sanli Pu.
-Ta tête m'était familière.
-T'es un gentil.
On est tous pareil ! On porte juste des couleurs différentes.


Mais la grande force du film réside dans ses expérimentations et ses folies : les (nombreuses) scènes de combat contre des streums sublimées par un montage ultranerveux, s'enchaînent sans le moindre temps mort ou passage explicatif, non, Hark rentre directement dans le lard et ça fait plaisir, avec quand même quelques passages calmes et poétiques, histoire de ne pas rendre le tout redondant.


Les personnages volent dans tous les sens, utilisent des techniques et des armes toujours plus créatives et improbables, un coup ils se fritent en se balançant des statues et des poutres enflammées à la tronche (bon exemple d'utilisation du décor dans les scènes de bagarre, tiens), une autre fois ils se tapent avec des épées volantes, des éclairs et autres boules d'énergie, avec un certain sens du cartoon (on ne sera donc pas surpris de voir un démon vaincu rebondir des tonnes de fois contre les murs en faisant des bruits de cloche, pour finalement exploser avec un mini-champignon nucléaire à la clé).


Des combats qui perdraient de leur impact effets spéciaux sont poussés à leur dernières limites pour épater les mirettes du fan de Wu Xia : ainsi, on aura comme en guise de scène de début un plan stylé sur des maquettes de montagne, les artifices pyrotechniques et chatoyants des combattants (éclairs, bouboules de feu et autres joyeusetés) sont dessinés à même la pellicule.
Et bien sûr tous les trucs volants fonçant dans les airs à chaque scène, à savoir démons, épées, humains, statues, rochers, et boucliers, qui ont dû exploser le budget en harnais du film :


"Dans le cinéma de Hong Kong, nous sommes toujours à la recherche d'idées.
Nous cherchons une façon différente de traiter les sujets, des angles d'approche inédits.
Peut-être aussi une nouvelle esthétique.
(...) Au sein même de notre industrie, on essayait nuit et jour d'avancer, de réfléchir à des films différents, plus remarquables.
Ce n'était pas forcément intentionnel, mais on bouquinait, on observait autour de nous.
(...) Des choses qui proviennent de nos vies, des films...
Assez souvent, on se dira (...) okay, sortons des sentiers battus, on va faire ça, car personne ne l'a jamais fait
".
Extrait de la même interview de Tsui Hark.


Faut pas oublier non plus que le film alterne entre des moments sérieux avec des crânes, des démons et des enfants morts, et d'autres avec un humour assez (et volontairement) crétin, typique du Wu Xia. Je cite par exemple cette scène où Ti Ming essaie de pêcher à la main des poissons qui lui rigolent au nez, qui est immédiatement suivie par une scène sérieuse de combat contre un démon.


Sorti le jour du nouvel an chinois, il est malgé tout un flop en Chine, malgré une influence certaine sur J**ack Burton dans les griffes du Mandarin** (pour moi le meilleur Carpenter), et de nombreux Wu Xia comme Histoires de Fantômes Chinois.
Ce n'est que plus tard, à l'instar de la plupart des films de Carpenter et Terry Gilliam, qu'il acquiert un statut culte, et que son réalisateur obtient le surnom de Spielberg chinois, et devenant même pour beaucoup la porte d'entrée vers le cinéma hongkongais.


D'ailleurs Tsui Hark fait un caméo à la fin du film, et le trailer est cool, aussi.
Je vous conseille également ce podcast de M.Bobine portant sur le cinéma du bonhomme, et sa vidéo sur le film, qui est sortie pile au moment où je comptais faire une critique dessus, m'a appris trois-quatre choses que je savais pas et qui m'ont un peu aidé dans sa rédaction.


Note : 7,75.

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le 3 déc. 2019

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