Ghost of Yōtei
7.7
Ghost of Yōtei

Jeu de Sucker Punch et Sony Interactive Entertainment (2025PlayStation 5)

J’entends l’Aïnou, le renard et la cueillette

Il y a 5 ans sortait Ghost of Tsushima en guise de chant du cygne de la PS4. Et pour être transparent avec vous je l’avais gratifié d’un 5/10. La faute à un monde aux contours Ubisoftiens bien trop prononcés et à un système de combat déjà lassant en à peine quelques heures. Ce système à base de 4 postures pour 4 typologies d’ennemis ne restituait selon moi aucunement la tension d’un duel au sabre et la routine s’installait bien trop rapidement. A mes yeux il s’agissait d’un jeu auquel on pardonnait tout parce que sa direction artistique était effectivement jolie mais aussi parce qu’il incarnait le Japon fantasmé d’une communauté persuadée que le pays du soleil levant est la terre promise. Comme s’il suffisait de produire des animés, des figurines et des jeux vidéo pour occulter des problèmes sociétaux structurels

(au hasard aliénation au travail, place de la femme, effacement des individus au profit du système, grande place du travail sexuel, harcèlement, taux de suicide, déficit du taux de natalité, sans domiciles fixes, célibat tardif et j’en passe…). Autre débat.

En résultait un jeu plus poseur que contemplatif. Derrière les pétales infinis se tapissait l’ombre de l’ennui, derrière le gimmick du vent boussole planait le spectre d’un game design déjà vieillot en 2020.

En bon joueur complétiste j’en étais ressorti essoré. Suivre des renards, vider des camps et faire des Haïkus à base de QTE qu’on finissait par compléter de façon totalement aléatoire pour s’en débarrasser… C’était comme aller au taf. En débattre ici même m’aura amené à un constat : Il ne faut pas que je joue à ces jeux dans l’optique de TOUT faire. Nombreux sont ceux qui s’accordent à dire qu’il faut s’en tenir à la quête principale et quelques activités pour ne pas s’en écœurer. De toute façon j’étais parti du principe que je n’y retoucherai plus à cette série. Et pourtant à l’annonce de Yotei un truc m’a séduit. Je trouvais que le jeu dégageait une aura différente, et ces quelques notes de musique aux relents Western n’étaient pas pour me déplaire. Ma curiosité était piquée et il faut croire que cinq années c’était le bon timing pour pardonner ou au moins retenter l’expérience en y allant avec un autre état d’esprit, une autre façon de jouer.


Un des premiers changements du jeu c’est qu’on passe d’un héros à une héroïne. Here we go again on échappera donc pas aux critiques sur le physique d’Atsu qui ne semble pas avoir d’assez gros poumons pour nos grands bébé gamers.


Pour les gens n’ayant pas de complexe d’Oedipe et n’accordant pas d’importance au bonnet des héroïnes de jeu vidéo, Atsu se révèle être une protagoniste étonnamment réussie. La où Jin Sakaï incarnait une vision trop caricaturale du samouraï si parfait qu’il en était lisse, Atsu se dévoile sur le long terme. Plutôt antipathique au début de l’aventure, ses nombreux traits d’esprits finissent par la rendre bien plus attachante qu’escompté. Elle a de la répartie, du caractère, un humour pince sans rire à certains moments … bref de l’épaisseur. Sa quête de vengeance restera cependant plutôt classique avec les questionnements de rigueur que l’on a déjà vue à de nombreuses reprises. J’ai trouvé la quête principale plus rythmée, plus fluide et naturelle que sur Tsushima. Il y a quelques personnages secondaires sympathiques mais rien de transcendant. Bref il y a de bonnes choses à piocher et d’autres qui sont plus convenues. Sur le long terme je pense que seule Atsu gardera une petite place dans mes souvenirs.


Est-ce que les développeurs ont revus leur copie dans la façon de penser un monde ouvert ? Clairement pas mais ils ont tentés de mieux le diluer. Soyons honnête, on se retrouve encore et toujours à vider des camps ennemis, suivre des renards etc… Les Haïkus ont été remplacés par de la musique ou de la peinture. Les sources d’eau chaude font encore augmenter notre barre de vie… La différence c’est que ces activités ont été légèrement plus distancées. Dans Tsushima il suffisait de trouver l’une d’entre elle, repartir en diagonale et au bout de 30 secondes on en retrouvait une autre. Ici c’est un peu mieux… mais juste un peu. Il y a légèrement plus de distance entre deux activités ce qui donne moins ce coté étriqué et artificiel à l’ensemble. Mais malgré tout on est loin d’une map dont la topographie aurait été pensée pour avoir une histoire ou un sens. Tout l’espace a été battit dans une logique purement vidéoludique pour vous garder focus. On ressent que ce monde a été créé POUR nous et non pas qu’il vivrait même SANS nous. Et pour moi c’est justement cette sensation qui fait les grands open world. Quand on débarque dans les mondes d’Elden Ring ou de BOTW ce sont des mondes « d’après » (après la calamité, après la guerre des demi dieux etc…). Nous n’y sommes rien, nous sommes infiniment petits et on les apprivoise. Dans The Witcher 3 il y a une vraie sensation de vie qui se dégage de tous les lieux que l’on visite. Dans les Ghost Of c’est tout le contraire. On arpente des villages interchangeables, sans personnalité (sauf la dernière zone et son château qui a un plus de cachet). Les développeurs ont fait trois ou quatre quêtes dedans et puis voila, ensuite ce sera un énième lieu sans vie où des PNJ peu crédibles feront semblant de vaquer à leurs occupations.


Il y a aussi un peu plus de variété dans les activités tout en n’en mettant moins en termes de quantité pour chacune d’entre elle. Mais la encore c’est un effet de manche cache misère plutôt qu’une vraie remise en question. Par exemple je me disais qu’il y avait moins de campements ennemis à vider. Mais en fait si on le cumule avec les tanières de loups qui nous demandent de… vider un camp, on en revient à la même chose qu’avant. On en a juste créé un deuxième type. On suit encore des renards, des oiseaux, des loups. Vous aviez aimé les duels du premier ? Bon bah ils ont créés les contrats pour que vous en ayez plus. C’était un des seuls trucs qui n’était pas en surabondance donc ces petits génies ils en ont remis plein pour que nous en ayons marre aussi… En fait je pense que c’est la tout le problème du studio Suckerpunch. Plutôt que d’aller taper dans les fondations et remettre en question profondément leur game design ils préfèrent les tours de passe-passe. Le vent boussole c’était sympa comme idée mais ça ne change pas fondamentalement ce qu’on y fait dans ce monde ouvert, ça épure juste l’UI. Ces petites vignettes qui représentent les indices que l’on glane et que l’on doit replacer manuellement sur la map c’est très chouette je trouve. Mais c’est encore de l’habillage, on ne touche pas au dur. Le dur c’est quoi ? C’est repenser l’espace primo et personnellement c’est aussi repenser le système de combat.


Car échanger quatre ou cinq postures par quatre ou cinq armes c’est encore un effet de style. C’est changer l’esthétique de la mécanique pour exactement la même chose. Ce n’est que du visuel. Les animations en combat sont certes hyper propres et stylées mais en pratique on maintient la touche de garde et on met un coup après l’ennemi quoi… pendant 30-40 heures. Oh parfois il y a une garde parfaite (j’aimerai vraiment voir sous le capot le paramétrage de cette garde parfaite parce que ça me semble assez aléatoire. Désolé mais au risque d’être prétentieux j’ai une certaine science des timings et la j’ai jamais choppé avec certitude comment la rentrer…). Sekiro avait déjà ringardisé Ghost of Tsuhima un avant sa sortie et la c’est pareil. Evidemment que ce ne sont pas les mêmes types de jeu, la philosophie From Soft d’un coté et le AAA grand public de l’autre nous sommes bien d’accord la dessus. Mais même sans parler difficulté, juste le flow, les impacts, les contres tout y était plus viscéral. Dans les Ghost Of, tous les combats se jouent de la même façon, il n’y a pas de vrais pattern. Attaque bleu rouge, jaune et voila. Le combat « ultime » contre SPOIL :

Takezo

cristallise tout ces constats. La mise en scène est cool, le décor est cool mais le combat ? C’est juste attendre qu’il fasse une des trois attaques susmentionnées et réagir en conséquence. La différence c’est qu’il fait des dégâts énormes. C’est artificiel. On est loin de la tension que devrait susciter ce combat en réalité en tant qu’ultime défi. Donc sur ce point on stagne et je n’arrive décidemment pas à y trouver le moindre intérêt. C’est de la gratification visuelle facile et rien d’autre.


Et vous savez ce qu’il y a d’encore plus agaçant ? C’est qu’à certains moments, ça fonctionne quand même. On se laisse porter par le truc, les activités s’emboitent bien par un heureux hasard et on a passé un agréable moment. Par exemple j’ai bien aimé la zone du Kitsune, il y avait quelques idées sympas. Mais encore une fois ils en ont abusés (énigmes à base de statut, boite secrètes…) jusqu’à écœurement. Je mentirai si je disais que j’ai passé un mauvais moment sur le jeu. J’ai essayé de lever le pied sur mes obsessions complétistes et c’est mieux passé surtout que celui-ci a une ambiance qui me parle beaucoup plus. Mais en l’état, la formule avait déjà offert tout ce qu’elle avait à offrir avant même Ghost of Tsushima. Alors aujourd’hui dire qu’elle sent la poussière serait un euphémisme.


J’avais profité d’un retour sur le premier Horizon pour évoquer le fait que cette formule « à la Ubisoft » n’avait rien de honteuse. C’est une typologie de jeu qu’on joue en mode automatique. On ne les a même pas encore commencé qu’on les a déjà prédigéré. Puis quand on y joue on a la sensation d’y avoir déjà joué. Malgré tout on ne lâche pas la manette parce que… c’est distrayant. On sait ce qu’on doit y faire, on rempli des listes et on gagne des trucs (comme des cosmétiques qu’on ne mettra soit jamais, soit deux minutes….). En vrai, on pourrait battre le boss de fin avec notre personnage de départ si on s’entrainait une heure grand max. Mais on joue quarante heures pour débloquer des améliorations ou des outils qui nous rendent encore plus débilement fort, comme si on jouait avec des cheat codes. Dans cette critique d’Horizon, j’évoquais en quoi lui est un bon élève ce qui va me permettre d’expliquer en quoi les Ghost Of ne le sont pas pour moi.


- Déjà les combats d’Horizon sont toujours intéressants (localisations des dégâts, plusieurs types d’ennemis avec patterns, gameplay stimulant et mobile…).

- Son univers est unique et étonnamment bien écrit.

- Les quêtes annexes sont également soignées et ne donnent pas la sensation d’avoir été bâclée pour faire du remplissage. Elles sont presque au niveau de la quête principale en terme de soin.

- Et en bonus c’est techniquement à la pointe.


C’est ce cumul qualitatif qui lui permet de tirer son épingle du jeu en dépit du moule de l’Open World à marqueur de quête (et d’en être le meilleur élève la encore selon moi...).

Je n’ai jamais compris le bashing envers Horizon d’un coté et le plébiscite des Ghost Of de l’autre. Le totem japon probablement… Alors soyons clair je ne fait pas de la gueguerre de chapelle, mais je pense quand même qu’il y a une sacré incohérence, voir injustice dans la réputation dont jouissent les deux titres.


Coté visuel, j’ai été plutôt surpris du bilan technique de ce Ghost of Yotei (PS5 Pro). Déjà l’écart avec son prédécesseur m’a semblé plutôt minime. Mais surtout c’est dans les détails que le bilan m’a paru en deçà pour un jeu Playstation Studios. Certains modèles de PNJ sont revenus à plusieurs reprises pour des quêtes annexes différentes par exemple. Certaines animations sont étonnamment robotique (pour des personnages secondaires) pour un si gros jeu également. Ou encore des modèles 3D de personnages étonnamment pauvres pour la partie annexe aussi... Je ne suis pas hyper demandeur niveau graphisme donc ça ne me pose pas de soucis mais ça peut surprendre surtout que les exclus Playstation ont tendance à ne pas lésiner sur les détails. Ici Suckerpunch s’en sort surtout grâce à ses skybox, ses effets de lumières et à sa DA qui a quelque chose d’assez rond et donc ne demandant pas de pousser l’ultra réalisme trop loin.


Coté audio enfin j’ai trouvé la bande son particulièrement intéressante. Le croisement entre l’utilisation traditionnelle du Shamisen sur des morceaux aux accents western spaghettis participe beaucoup à la personnalité du jeu. D’autres thèmes sont plus à vocation ambiante et ne marquent forcément pas l’esprit mélodiquement mais ça fonctionne bien in game. C’est un certain Toma Otowa qui s’est occupé de composer pour le jeu et j’aime beaucoup ce qu’il a réussi à faire. Entre la vengeance, les sonorités western et les noms des Six de Yotei apparaissant en gros à l’écran j’ai parfois eu la sensation d’une inspiration Tarantinesque !


Ghost of Yotei reste donc ce jeu du Japon fantasmé dans lequel les pétales tombent à l’infini et où des érables majestueux poussent sur la banquise. Où les samouraïs attaquent chacun leur tour et où les archers ont un trouble obsessionnel compulsif les forçant à pousser un cri lorsqu’ils décochent leurs flèches. Atsu est une héroïne aux mains assez calleuses pour escalader la roche et manier cinq armes mais assez douces pour jouer du Shamisen et s’adonner au Sumi-e. Son titre de championne de fléchette interdépartementale lui permet de lancer des sabres et des lances à 18 mètres avec précision. C’est aussi le Japon des camps militaires qui ont tous un interstice dans les bambous assez grands pour qu’on puisse s’y faufiler. Ces camps où les gardes ont des rondes qui ressemblent à une invitation pour se faire trancher la gorge. Ce Japon où on ne peut pas faire deux kilomètres sans qu’un Ronin ait une envie irrépressible d’éprouver ses qualités de sabreur au péril de sa vie. Un Japon artificiel qui hurle qu’il est un jeu vidéo à chaque instant. Qui voudrait vous vendre une soit disant contemplation mais qui ne vous laisse jamais soixante secondes sans vous rappeler qu’il y a un truc à faire la, pas loin. Mes griefs sont donc les mêmes qu’à l’époque mais celui-ci réussit à avoir un petit supplément d’âme que je n’avais pas trouvé à son prédécesseur en plus d’être légèrement plus aéré. Une agréable balade ni plus ni moins. Car parfois quand retentissait quelques notes de Shamisen et qu’on me foutait la paix deux minutes ça pouvait franchement avoir du charme.

6,5/10

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