GRIS
7.5
GRIS

Jeu de Nomada Studio, Berlinist et Devolver Digital (2018PC)

Un artiste illustrateur barcelonais travaillant dans la mode et la publicité du nom de Conrad Roset, joueur à ses heures perdues, se dit que le jeu vidéo indépendant serait une piste intéressante pour s’exprimer différemment et librement. Il rencontre des développeurs de chez Ubisoft fatigués de la production de AAA formatés et c’est ainsi que né le studio Nomada qui vise à porter cette vision artistique manette en mains, sous la forme d’un jeu de plates-formes réflexion en 2D accessible à un large public. Mais un jeu ne saurait se résumer à sa direction artistique et le manque de moyens et d’expérience du studio combiner aux ambitions ludiques mesurées pourraient poser problème. Voyons ce qu’il en est.


RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆


Commençons par l’argument de vente du jeu et je vais être clair, Gris a l’une des plus belles directions artistiques de l’histoire du jeu vidéo. En nous privant de couleurs en début de partie pour les ramener une par une au fur et à mesure des chapitres en jaillissant sur l’écran comme de la peinture à l’eau, Gris se décline en véritables tableaux se composant certes de manière très scriptée mais aussi magnifiques que dynamiques. Tout l’art de Conrad Roset dont l’un des travaux majeurs est une galerie intitulée muses, représentants des silhouettes féminines à l’aide de l’aquarelle, est directement infusé dans Gris qui est presque l’adaptation en jeu vidéo d’un vernissage.


A cela, il faut ajouter des idées de mise en scène en temps réel aussi surprenantes qu’impressionnantes s’autorisant des clins d’œil sympathiques aux principales sources d’inspiration du studio, des animations très gracieuses épousant l’aspect liquide du style aquarelliste, un sound-design très plaisant et une OST aussi polyvalente qu’intense qur laquelle je reviendrai plus en détails. C’est bien simple j’avais les yeux écarquillés et les oreilles grandes ouvertes toutes les 5 minutes, j’arrêtais de jouer, subjugué par l’ambiance, ce qui m’arrive très rarement. La seule fausse note visuelle pour moi serait les cinématiques qui ne sont pas tout à fait harmonieuses avec le style en temps réel, et elles sont très peu présentes.


L’interprétation qui résulte de l’expérience artistique, le jeu ayant bien un scénario mais sans mot pour le raconter, est d’abord assez libre avant d’être beaucoup plus claire une fois le jeu fini à 100 %. On peut regretter que la réponse ne soit pas plus laissé à la liberté du joueur, que les succès peuvent accidentellement nous dévoiler la thématique dès les premiers instants, ou encore que le résultat final ne soit rien de bien original dans le milieu du jeu vidéo mais c’est maîtrisé là encore de bout en bout et en parfaite cohérence avec les choix artistiques

Les différentes phases du deuil clairement énoncés par les succès permettent de bien comprendre le sujet. La disparition de la voix et des couleurs en début d’aventure représentent le déni dont il faut sortir, puis les bourrasques rouges qui nous repoussent représentent la colère qui nous submerge mais à qui on fait face, la plongée dans les eaux bleues les plus obscures représentent le temps de la dépression... et alors qu’on peut l’appliquer assez universellement, la fin cachée dévoile qu’il s’agit du deuil de la figure maternelle très spécifiquement, ce qui ne me dérange pas.

L’OST, composée par un groupe également sans expérience dans le milieu du jeu vidéo mais joueurs eux-mêmes, réussit donc parfait à proposer des balades au violon ou au piano très apaisantes comme des moments intenses avec des orgues et des chœurs massifs, tout en étant toujours très bien accordé avec l’état d’esprit de Gris également illustré par les choix artistiques. Un choix radical est de ne proposer aucune percussion et moi qui adore ça d’habitude j’en ai très bien accepté l’absence. La voix chantée est somptueuse pour parfaire ce tableau.


GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★☆☆☆


Le maniement se compose d’abord et avant tout du déplacement latéral et de sauts simples avec une hauteur rapidement ajustable, étant complété par quelques formes alternatives et mouvements supplémentaires possibles pour enrichir un petit peu l’arsenal d’interactions avec l’environnement et fluidifier les déplacements. Mais le challenge et l’intérêt du jeu vont surtout venir des situations de jeu proposées qui doivent à la fois ne pas desservir l’expérience artistique qui n’apprécierait pas trop des essais intempestifs sans pour autant devenir une ballade ennuyeuse par manque de défi à relever.


Et je trouve que cette difficulté est en effet parfaitement dosée avec des énigmes et des phases de plates-formes certes simples mais qui se renouvellent constamment pour un rythme irréprochable et qui proposent des objectifs annexes offrant juste le défi qu’il me faut pour me résister sans me frustrer. Ce dosage est évidemment une question très personnelle et je sais que pour certains non joueurs ça peut être un peu trop dur et pour des joueurs recherchant nécessairement le challenge trop ennuyeux, mais pour ma part c’est tout bon. Et quelques challenges supplémentaires sont aussi proposés par les succès qui ne se contentent pas de marquer la progression, ce qui est toujours bon à prendre.


Un concept central de cette expérience ludique est qu’il est impossible de mourir, seulement de ne plus pouvoir progresser, ce qui implique quelques phases de jeu ultra assistées où la bonne exécution des commandes est parfaitement facultative et des échecs aux phases de plates-formes qui impliquent de prendre le temps de remonter plutôt que de réapparaître juste avant. Dans un cas comme dans l’autre, je ne vois absolument pas le problème pour ce jeu qui a l’envie de s’ouvrir à un large public et de proposer une expérience ludique au service de la direction artistique.


Un petit défaut ludique récurrent serait que les éléments de décor et les plates-formes se confondent régulièrement. Le jeu peut en jouer intelligemment en intégrant cette confusion à une énigme qui nous permet en réalité de bien comprendre le level-design en observant bien, mais le plus souvent c’est juste que ce n’est pas très bien fait. Mais ça reste un petit défaut tant ça ne m’a jamais bloqué ni même frustré, le jeu étant tellement captivant autrement et ne m’ayant jamais trop résisté, c’est l’un des chouettes avantages de ce concept.


Un inconvénient pour certains c’est que ça réduit la durée de vie qui ne dépassera ici que difficilement les 3 heures pour la plupart des joueurs, 6 pour les plus motivés, mais le rythme étant tellement bon et la qualité au rendez-vous que je n’y vois pas de problème. Et puis c’est cohérent avec le modèle économique du jeu dont le prix de lancement dématérialisé dépassait à peine les 15 euros, vraiment très honnête. Il n’y a donc pas de quoi ternir le tableau haut en couleurs de Gris du côté de son gameplay, ce qui nous promet une très belle conclusion.


CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆


Gris est un jeu de plates-formes / réflexion grandiose par sa direction artistique autour de laquelle tout est pensé de façon radicale, assumée et maîtrisée, aussi bien ses musiques envoûtantes, sa narration non verbale, son scénario émouvant, ses mécaniques modestes ou sa difficulté toute en douceur. Il faut bien sûr passer outre la durée de vie courte et le faible challenge qui en résultent pour l’apprécier pleinement, et ce fut le cas pour moi au point d’en faire l’un de mes jeux préférés de son année 2018, sur la scène indépendante comme plus largement.

damon8671
8
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le 14 août 2025

Critique lue 21 fois

2 j'aime

damon8671

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