Après le succès phénoménal de Metal Gear Solid l’ayant propulsé parmi les titres les plus emblématiques de la Playstation 1 et même de toute sa génération, il était inévitable de poursuivre la franchise avec un nouvel épisode ayant l’ambition de fournir enfin à la Playstation 2 un très grand titre, elle qui a démarré très fort sa commercialisation mais qui n’a alors que peu de titres marquants. Il faut dire que la campagne marketing de cette suite a été menée tambour battant dès l’an 2000 pour faire monter la hype des joueurs et les pousser à privilégier la Playstation 2 aux autres machines sur la seule promesse de ce MGS2.
Et pourtant, Kojima va prendre le pari fou de ne dévoiler que le prologue du jeu dans ses bandes-annonces, démos et même auprès des investisseurs, à savoir Snake infiltrant un navire en pleine tempête, alors que ce dernier laisse place pour la plus grande partie du jeu à un autre personnage jouable dans un autre environnement. Le jeu se veut être un épisode conclusif de la saga sous Hideo Kojima et aurait pu s’intituler Metal Gear 4, mais pour des raisons marketing le titre Metal Gear Solid 2 lui est préféré, se détachant toujours plus des 2 premiers opus, dommage mais compréhensible.
GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★★☆☆
Si la 3D est mieux maîtrisée qu’à la fin des années 1990 et que le duo analogique est désormais incontournable, le gameplay de Metal Gear Solid 2 n’est en aucune manière une révolution dans sa franchise mais une nouvelle évolution conséquente visant la dynamisation et l’aboutissement de sa formule. Le maniement est ainsi enrichi par 3 nouveautés majeures. D’une part, la roulade vient apporter une possibilité d’esquive mais aussi d’attaque supplémentaire. D’autre part, le tir à la première personne pour toutes les armes vient dynamiser beaucoup ces phases qui se cantonnaient souvent à l’observation. Enfin, il est désormais possible de se suspendre à une paroi, permettant de se déplacer furtivement dans un parcours alternatif au prix d’une consommation d’endurance et d’un bruit fort où on se laisse tomber.
L’action est également améliorée par une localisation des dégâts très poussée et l’infiltration est quant à elle plus développée par la possibilité d’endormir plutôt que de tuer ainsi que par la possibilité de planquer des corps. De plus, on retrouve toujours davantage d’interactions possibles avec l’environnement pour priver un ennemi de son abri, distraire son attention, échapper à sa vue… incitant plus que jamais à l’expérimentation au sein d’une franchise désireuse de laisser toujours plus de liberté au joueur pour progresser et de le récompenser pour cela, ce que j’apprécie beaucoup.
Le level-design est étudié pour tirer pleinement profit de ces nouveautés avec un placement intelligent des emplacements permettant de planquer les corps ou de s’en débarrasser, des cordes et parois auxquels se suspendre permettant de contourner des ennemis d’une autre manière qu’à pied... et une structure globale comme une boucle facilitant l’apprentissage et l’orientation, au détriment d’un manque de surprise environnemental sur lequel on reviendra plus tard. L’expérience de jeu est nettement plus fluide et plus riche d’abord par ces ajouts, mais pas seulement.
Bien évidemment le comportement et le placement des ennemis ont été améliorés pour continuer de nous opposer un défi intéressant malgré tous ces nouveaux outils à notre disposition. Bénéficiant de plus de manœuvres différentes pour nous acculer quand on est repéré ou pour nous rechercher quand on leur échappe, l’IA adverse s’inscrit parmi les plus élaborées de son époque tout en étant pleinement cohérente avec le souci d’accessibilité de ce titre qui vise plus que jamais le grand public, ne dérivant pas de son concept hybride entre action et infiltration.
On retrouve une fois encore les séquences de jeu originales venant rythmer l’aventure. Plusieurs combats de boss sont de grandes réussites en tant que reprises enrichies et améliorées des précédents comme l’affrontement avec le Harrier reprenant le concept anti-air déjà vu mais avec toujours plus d’intensité et de complexité ou encore les Metal Gear qu’il faut désormais parvenir à gérer simultanément. D’autres seront un peu moins mémorables, coucou Fortune, et les plus exigeants regretteront qu’il n’y ait pas plus de situations pleinement originales mais personnellement je trouve Metal Gear Solid 2 satisfaisant sur ce point.
J’apprécie également les petites améliorations ergonomiques ici et là avec l’inventaire désormais subdivisé en sous-catégories pour y fluidifier la navigation, l’utilisation automatique des clefs d’accès pour y éviter les allers-retours inutiles… on peut toujours pester en trouvant que ces améliorations arrivent bien tard dans la franchise, mais ça reste une qualité propre à cet épisode. Je regretterais seulement un peu la disparition de nos améliorations statistiques au cours de l’aventure en dehors de la force physique pour les quelques situations y faisant appel.
Metal Gear Solid 2 ne profite que très peu de la présence de deux personnages jouables pour proposer deux gameplay différents, le katana transformant le style de jeu de Raiden n’arrive que bien tard dans l’expérience pour une phase anecdotique qui aurait mérité d’être étoffé et peaufiné si elle avait été étendue. Mais je pense qu’alterner les 2 personnages, l’un se battant à la manière d’un soldat contemporain, l’autre à la manière d’un ninja équipé de technologies futuristes à la manière d’un Gray Fox aurait été un coup de génie. Mais encore une fois, ce gameplay ne vise pas la révolution et quand on le prend pour ce qu’il est, on ne peut que en reconnaître sa grande qualité dans l’ensemble, et les éloges ne font que commencer.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆
Metal Gear Solid 2 vante très vite les capacités de la Playstation 2 et en met plein les yeux avec ce prologue sur un navire profitant des magnifiques effets d’eau provoqués par la pluie battante, des reflets détaillés sur les surfaces mouillées, des bouteilles en verre de son bar pouvant être détruites une par une, des explosions impressionnantes par leur nombre de particules, des projections d’ombres prenant si bien en compte l’origine de l’éclairage qu’une petite figurine projette l’ombre d’un boss, des soldats ennemis dont les corps ne disparaissent jamais…
Et cette réalisation des plus impressionnantes tourne à 60 FPS dès sa toute première version commercialisée, même si les passages les plus chargés en effets subiront quelques ralentissements inévitables, Kojima étant un développeur de génie, pas un magicien. C’est tout simplement du jamais vu pour un jeu aussi ambitieux techniquement et à une telle échelle. Étant donné toutes les attentes sur lui et la stratégie de Sony centrée sur ce titre au début de vie de la Playstation 2, ce n’est vraiment pas un petit accomplissement.
La mise en scène des cinématiques est une fois de plus magistrale, profitant cette fois-ci de modèles 3D suffisamment détaillés pour que la caméra puisse s’attarder dessus sans problème. Elle s’illustre particulièrement pour iconiser les boss dès leur apparition avec Vamp prenant le temps de terroriser ses cibles avant de les décimer dans des gerbes de sang, Fortune restant stoïque face à la mitraille inutile se déchaînant sur elle avant de tout faire sauter d’un seul geste par son arme si particulière… même si ceux-ci sont moins nombreux et moins charismatiques que sur le précédent titre mais on y reviendra là encore un peu plus tard.
Les ambitions hollywoodiennes du titre se font particulièrement entendre par ses musiques désormais composées par Harry Gregson-Williams, qui venait de collaborer avec Michael Bay ou encore Tony Scott au cinéma et qui n’avait pas d’encore d’expérience dans le jeu vidéo. Si cette OST ne figure pas parmi mes toutes préférées de la saga et que je lui préfère celle de l’équipe de Konami sur PS1, je lui reconnais quelques fulgurances avec sa reprise hyper entraînante du thème principal ou encore le souffle épique qu’elle insuffle à l’introduction de Snake lors du prologue.
Le chara-design profite bien évidemment de l’augmentation du nombre de polygones, Solid Snake est ainsi 5 fois plus détaillé et acquiert un style vestimentaire qui le suivra en dehors de la saga. Le jeu est si fier de ses modèles 3D qu’ils sont désormais les portraits dans le codec, même si ça donne un rendu très différent du travail très artistique de Yoji Shinkawa, je comprends parfaitement ce choix. Le design de Raiden a le mérite quant à lui de trancher, sans mauvais jeu de mots, avec celui de Snake, tandis que celui des boss marque les esprits avec des styles radicaux. Le soin du détail est toujours très poussée avec plein de nouvelles animations pour les soldats inspirées des mouvements réels des militaires, les rations alimentaires qui attirent les mouches...
Après la direction artistique pluvieuse du prologue, les plates-formes dans les airs avec vue sur la mer apportent de jolies utilisations de la luminosité qui règne à l’extérieur, mention spéciale au crépuscule. Ça a son charme et son identité même s’il y a toujours ces bâtiments intérieurs plutôt ternes, que ce n’est pas ma thématique environnementale préférée et que la structure même de la plate-forme implique un peu moins de surprise dans les environnements à découvrir. Je ne suis donc pas tout à fait en phase avec les choix artistiques et musicaux mais ça reste évidemment de la très haute volée, et pourtant je n’ai pas encore abordé le point le plus réussi de MGS 2 à mes yeux.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★★☆
Metal Gear Solid 2 poursuit tout d’abord les aventures de Snake aux côtés d’Otacon face à Revolver Ocelot dans une chasse au Metal Gear plutôt prévisible, voire peu inspirée avant de prendre le risque énorme de tout renverser en écartant bien sûr le vétéran et charismatique Solid Snake une fois le prologue passé au profit du novice et lisse Raiden, Snake étant relayé au rang de support de ce nouveau protagoniste. Je n’ai pas trop de problème avec ce principe en raison de l’intérêt d’opposer ces deux styles et de faire évoluer la franchise dans une nouvelle direction, même si je pense que Kojima aurait très bien pu mieux gérer cet aspect. Il est souvent aussi reprocher au titre d’arborer un casting d’antagonistes largement moins charismatique que Fox Hound du précédent MGS, et si c’est indéniable c’est parfaitement compréhensible à mon sens car les efforts scénaristiques ont été portés ailleurs.
L’intrigue de Metal Gear Solid 2 pousse encore plus loin les thématiques difficiles de la guerre en y ajoutant la problématique des enfants soldats mais surtout elle porte des messages avant-gardistes sur les dangers de l’ère numérique à l’aube du troisième millénaire. On parle aussi bien des dangers d’une IA si évoluée qu’elle se substituerait aux échanges sociaux avec de vraies personnes, que du risque de déconnecter les soldats de la dure réalité de la guerre à travers l’usage systématique de la réalité virtuelle, ou encore des risques de désinformation massive par le biais d’internet. Parler en avance sur son temps et avec autant de justesse de sujets complexes exceptionnellement pertinents et liés au jeu vidéo est un tour de force qui a toute mon admiration.
De plus, l’univers de Metal Gear s’étoffe avec la faction des patriotes directement liée à ces thématiques et qui ouvre la voie à de nouvelles péripéties pour la saga sans empêcher le jeu de bénéficier d’une conclusion satisfaisante. Il faut tout de même faire abstraction de quelques idées scénaristiques posées par ce MGS2 et qui aurait mérité sans doute un peu plus d’éléments de réponse, comme ce fameux bras d’Ocelot qui ne trouvera une réponse que dans MGS4, mais ce n’est pas bien grave. Kojima n’a pas attendu MGS2 pour faire surgir un élément vraisemblablement surnaturel dans son univers, ce qui fait que je peux assez facilement l’accepter.
Si Metal Gear a toujours aimé brisé le quatrième mur et a développé toujours plus les réflexions sur le statut de joueur de jeu en jeu, Metal Gear Solid 2 va encore plus loin en développant explicitement, longuement et intelligemment ce propos. Les réflexions portent aussi bien sur la liberté accordée au joueur à la fois limitée et réelle, le contraste entre les attentes du joueur et la toute puissance du développeur qui peut délibérément jouer avec, la mystification d’une œuvre passée pouvant autant servir l’œuvre qui y fait suite que d’empêcher de l’apprécier pour ce qu’elle est, le décalage entre ce que le joueur ressent en jouant et le fait que ce qui se passe en jeu n’est pas réel… c’est là encore l’un des jeux les plus justes sur cette question complexe et pertinente.
Ce scénario amènera aussi des scènes particulièrement émouvantes, notamment une :
La mort d’Emma fut un choc dramatique que je n’avais pas vu venir, autant parce que je ne pensais pas que le récit oserait tuer cette gamine de 18 ans que parce que je ne pensais pas m’être attaché à elle après ces missions d’escorte contraignantes dont j’interrogeais la légitimité avant de reconnaître l’impact dramatique qui en résulte. Et le petit coup de génie d’écriture avec ce perroquet qui exprime à Otacon ce qu’elle n’a pas pu lui dire, c’est vraiment très bien pensé.
La structure narrative est bien sûr très inspirée de l’opus précédent déjà très inspiré de celui qui le précède, mais ça reste un procédé efficace et là au moins il y a une vraie explication scénaristique pour le justifier sans trop de mauvaise fois. Le principal souci de cette intrigue, et peut-être même le seul véritable, c’est son rythme qui impose de longues phases de jeu où quasiment rien ne se produit et de très lourdes phases de dialogue avec beaucoup de retournements de situation. Certes, l’exercice était fondamentalement plus difficile que sur l’épisode précédent avec un scénario plus riche, 800 pages de scénario contre 500 sur PS1, mais ça manque tout de même de maîtrise, sans même parler de la problématique d’être aussi ambitieux dans un jeu visant un grand public pour lequel le rythme est d’autant plus important pour que cette complexité soit acceptée.
Et les blagues un peu limites sont bien sûr toujours de la partie mais au moins le jeu préfère se contenter de sa version originale anglaise pour les clamer, après les doublages internationaux catastrophiques de l’épisode PS1, c’est un soulagement. Ça ne m’empêche pas de trouver malaisant et idiot que le président des États-Unis saisisse Raiden par l’entrejambe en pleine conversation pour vérifier que c’est bien un homme tant il lui paraît efféminé, mais ce n’est pas ce qui m’empêchera d’apprécier tout ce que le jeu à d’autres à offrir, par son scénario comme par ses autres aspects.
CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆
Metal Gear Solid 2 est l’aboutissement d’une formule infiltration / action fluide et riche profitant d’une réalisation très impressionnante vantant pour la première fois les capacités de la machine de son époque tout en portant un scénario d’une profondeur incroyable. Et si l’on peut déchanter face à ses choix particulièrement audacieux mais aussi clivants, on ne peut que respecter cette œuvre unique et titanesque. Avec ses 7 millions de ventes au compteur, Metal Gear Solid 2 fait tout simplement partie des jeux les plus vendus de la Playstation 2 en dépit de sa proposition originale, mais si ça devait être le chant du cygne de Kojima sur la saga, nous en sommes encore loin.