1984
8.3
1984

livre de George Orwell (1949)

Guerre est Paix, Liberté est Servitude, Ignorance est Puissance. Non, ce ne sont pas les énoncés d’un mot croisé de difficulté extrême, mais les slogans d’un monde qui n’est pas celui des Bisounours. Bienvenue en 1984.


1984 est un roman dystopique paru en 1949. À noter que la date du titre est une inversion du chiffre des unités et des dizaines de l’année où George Orwell écrivit ce roman, c’est-à-dire en 1948. De ce fait, cette histoire était une projection d’un avenir sous le joug d’un gouvernement totalitaire. Orwell s’est beaucoup inspiré du modèle communiste, alors en place en URSS, et voulait en prévenir les dérives. Cette influence se remarque notamment au travers du culte du chef (Big Brother caricaturant Staline comme une allégorie immortelle représentant le pouvoir en place), des organisations des jeunesses, d’un parti unique ou du fait que les citoyens se nomment « camarades ».


L’univers du roman est le suivant : le monde est séparé en trois grandes puissances perpétuellement en guerre, l’Océanie, l’Estasie et l’Eurasie. L’histoire se passent en Océanie, à Londres, où la société est divisée en trois parties : le Parti Intérieur (les plus puissants et privilégiés), le Parti Extérieur (la classe moyenne) et les prolétaires (le tiers état sous un autre nom -les noms ont beau changer, le concept reste toujours le même-). Et bien sûr au-dessus de tout, Big Brother, cette figure immuable et toute puissante, qui est le guide du Parti. Le gouvernement, afin de rester en place éternellement, s’est doté de moyens efficaces : des « télécrans » présents partout qui surveillent les habitants 24 heures sur 24, une « Mentopolice » qui traquent tous les opposants du Parti, le « néoparler », un nouveau langage qui comporte le moins de mots possibles afin de rendre les pensées des gens parfaitement en adéquation avec le Parti et qui à ne permettra plus à quiconque de s’opposer à ce dernier, faute de termes pour l’exprimer et, cerise sur le gâteau, la solution la plus méphistophélique de toute : la modification du passé. Explications : un service du gouvernement a pour tâche de modifier continuellement le passé pour que celui-ci soit de tout temps conforme à la situation actuelle du Parti. Par exemple, si l’Océanie est en guerre contre l’Estasie, alors elle a toujours été en guerre contre cette dernière. Si cette situation change (imaginons que l’Océanie est désormais opposée à l’Eurasie), le service des Archives doit changer tous les articles de journaux ou déclarations faisant mention d’une guerre contre l’Estasie. Ce procédé de falsification du passé est appliqué pour tout, à tous moments. Ainsi le Parti a toujours raison et personne ne peux prouver le contraire. Les habitants, dans ce marasme ambiant, sont complètement dénués d’esprit critique. Ils vivent depuis leur naissance dans le mensonge et la propagande. La seule chose dont ils sont certains est que le Parti fait tout pour le bien du peuple.
L’histoire racontée est celle de Winston Smith, qui déteste le Parti et voudrait sa chute. Il recherche liberté et amour, ce qui le mène à transgresser les lois. Alerte spoiler : il est découvert et une grande partie du roman décrit son lavage de cerveau jusqu’à qu’il parvienne à aimer le Parti et Big Brother. Amer.


Pour commencer, on ne peut pas aimer un livre pareil, ou pas au sens classique du terme « aimer ». C’est en effet véritablement horrifiant de se plonger dans cette société déshumanisée et d’arriver à cette fin cruelle du héros : « Il aime Big Brother ». Mais l’horreur vient aussi de l’impression déconcertante que notre société actuelle se rapproche dangereusement sur certains points de 1984. Nous n’avons certes pas de « télécrans », mais à quoi bon ? Les réseaux sociaux font magnifiquement bien l’affaire, avec en prime les avantages qu’ils génèrent du profit et que nous ne nous rendons même pas compte que nous sommes surveillés. Le mot est peut-être un peu fort mais force est de constater que nous ne pouvons pas cacher grand-chose de notre vie privée à Facebook ou autre Instagram. Le désormais célèbre « Big Brother is watching you » pourrait aisément être remplacé par « Mark Zuckerberg is watching you ». En outre, ce « néoparler » qui semble si abject ressemble de manière frappante à ce piètre anglais que peu savent parler mais que beaucoup utilisent. Ne parlons pas non plus de liberté d’expression car quelle liberté nous reste-t-il autre que celle de penser ce que tout le monde pense ?


Pour revenir à nos moutons notre roman, je dirais simplement que la notion de chef-d’œuvre le résume. L’ambiance est oppressante, l’intrigue bien ficelée bien que démoralisante et la description de cette société est terriblement réaliste. J’ai notamment beaucoup apprécié que le fonctionnement du « néoparler » ait été parfaitement expliqué (avec l’aide d’un appendice à la fin, pour la traduction de 2018 tout du moins). En revanche, notons quand même que le héros n’est pas particulièrement attachant, bien que cela ne gâche rien à l’histoire. Malheureusement, la fin que j’ai trouvée quelque peu confuse entache, certes minimalement, ce tableau presque parfait, comme une petite poussière sur un verre de lunette immaculée. Ce qui, comme les binoclards le savent, génère un petit agacement devant cette chose dérisoire qui nous prive de l’élévation suprême (mais ça reste une poussière, faut pas exagérer non plus).


En bref, cet opus de George Orwell est si bien réalisé qu’il pourrait sans problème nous faire avaler que 2+2=5. La quête d’amour et d’évasion de ce pauvre Winston Smith parvient à nous faire espérer une issue heureuse mais que nenni, tout cela pour mieux nous replonger fatidiquement dans l’amertume et le dégoût. À lire et à relire, sans modération.

escargotpresse
9
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le 26 mai 2019

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