De toute ma vie (c'est à dire pas très longtemps), jamais je n'avais lu un livre aussi sombre et pessimiste.
C'est vrai quoi, toutes les autres histoires du monde, même les plus cyniques et impitoyables arrivent à nous enseigner une leçon, une morale qui montre qu'au final, être le témoin de cette histoire n'aura pas été vain, que même si tous les personnages principaux meurent, que la planète explose, ou que les méchants triomphent, toujours, on saura que de toute façon nous sommes les garants de la véritable morale.
Mais dans 1984, rien.
Le néant absolu de l'espoir et de la joie.
1984 n'est pas vraiment une fiction, c'est le futur de l'humanité comme seuls les plus torturés des auteurs seraient capables d'en créer.
Dans ce monde d'un futur pas si lointain que ça, Orwell est parvenu à créer la dictature ultime, celle où le pouvoir est l'unique nécessité, où la rébellion n'est qu'un fantasme éphémère, le passé aussi stérile que l'avenir, et l'Amour... Le pire des crimes.
C'est un monde absurde, où toute la société est contrôlée par un gouvernement omnipotent et omniscient, et dont la seule réelle raison d'être, au final, c'est le pouvoir... Juste le pouvoir. Un pouvoir absurde, sans valeur ni consistance, mais le pouvoir quand même. Kafka prend bonne note.
Il est évident qu'Orwell dresse ici un portrait cynique de son époque, son œuvre est baignée dans les frayeurs de l’auteur, chaque mot est trempé dans le noir encre de ses plus sombres cauchemars.
Georges a toujours eu une obsession au cours de sa vie de journaliste : traquer et faire éclater la vérité au grand jour. Cette soif de vérité, ce désir ardent de combattre le mensonge l'aura amené à se questionner sur le futur de l'Homme, et en bon auteur qu'il est, il a décide de créer une œuvre complète, d’écrire le livre d'anticipation ultime, où toutes les couches de la société seraient décortiquées, analysées, et passées à la moulinette de son esprit torturé, pour en tirer le manuel de la parfaite et infaillible dictature.
Ce qui m’amène à me poser une sérieuse question : Et si au final, Orwell, en cherchant à tout prix à alerter ses contemporains de la proche émergence de ce monde glaçant en se basant sur tous les aspects du monde humain, à force de s'immerger jusqu'au cou dans le labyrinthe tortueux de la Nature humaine, n'en serait pas devenu lui-même une sorte d’émissaire, un prophète fou hanté par des visions grandioses qui aurait laissé son cynisme noircir les pages de son roman, comme une sorte de message prophétique annonçant l'Apocalypse prochaine ?
Et si au final, Orwell n'avait pas créé 1984 : c'est 1984 qui aura façonné Orwell à son image.
Ce qui n'est pas sans rappeler d'ailleurs les célèbres paroles de Nietzsche (un peu surexploitées à mon gout mais bon) : "Celui qui combat des monstre devrait veiller à ne pas devenir lui-même monstre; et quand tu regarde au fond de l'Abime, l'Abime aussi regarde en toi".
Je pense que Georges a plongé son regard au fond de l'abime humain.
Et ce qu'il y a vu...