Que n’aurais-je pas donné pour pouvoir accorder une bonne note à ce livre, dont le titre ainsi que la quatrième de couverture laissaient penser que la relève de George Orwell était assurée.
Aussi suis-je fort désappointée, déçue (bien que ce terme soit quelque peu trop extrême) et désolée de ne pouvoir le faire.
Avais-je placé la barre trop haute, avais-je en tête trop de livres excellents de ce genre ou gardais-je trop 1984 à l'esprit dans l’attente de retrouver ce contexte oppressant, ces foules sans espoir, ces actions désespérées nous touchant car condamnées par avance ?
2084 est un roman décrivant un régime totalitaire selon une inspiration islamique. Dieu est appelé Yölah, son Délégué est Abi, dans le pays (pays, empire ou.. monde ?) d’Abistan. Tous les habitants sont des croyants, aucun libre choix ne leur est laissé : ils sont testés tout au long de leur vie sur leur foi par des juges, s’espionnent et se dénoncent entre eux, sont récompensés de leur dévotion en étant cités en exemple lors des sermons des prêtres sur la place publique ou en étant accordé le droit de mise à mort des traîtres. Un seul manquement aux impératifs sociétaux (et surtout aux impératifs religieux) et c’est la mort qui les attend. Aucune pensée personnelle n’est permise, mais comment avoir l’idée de penser lorsque ce pays ne dispose que d’une langue unique, qui, comme la novlangue d’Orwell, est faite de façon à supprimer toute initiative, les mots sont raccourcis et inspirés de la religion, les autres étant tout simplement effacés, oubliés, rayés des dictionnaires et des esprits.
Nous comprenons au long du livre qu’Abistan est organisé en quartiers selon les lettres de l’alphabet, A étant le coeur, ce qui permet à la police religieuse de « parquer » les hommes dans leur quartier : tous les déplacements sont interdits exceptés les pèlerinages. De la même façon qu’Orwell, Abistan est en guerre perpétuelle contre un ennemi, l’Ennemi, jamais remise en cause par la société, qui se situerait on ne sait où puisque la notion même de frontière est inconnue des hommes. Ainsi, comme souvent, cette guerre éternelle est entretenue par le pouvoir en personne car cela facilite le contrôle du peuple et lui permet de supporter sa propre misère sans jamais s’insurger.
« Le croyant doit continûment être maintenu en ce point où la soumission et la révolte sont dans un rapport amoureux, la soumission est infiniment plus délicieuse lorsqu’on se reconnaît la possibilité de se libérer, mais c’est aussi pour cette raison que la mutinerie est impossible : il y a trop à perdre, la vie et le ciel, et rien à gagner, la liberté dans le désert ou dans la tombe est une autre prison. »
Cependant, comme dans tout régime totalitaire, il faut qu’il y ait un grain de sable venant gripper le rouage parfait de la machine, dans le but de la relancer de plus belle ou bien de la faire exploser.
Dans 2084, ce grain de sable est Ati, qui, à la suite d’une cure, se met à se questionner.. Il entraîne avec lui Koa, et tout deux partent à la conquête de la vérité.
Ultime hommage à Orwell lors de la dernière page du livre « Nos chefs d’alors prirent pour base de leur philosophie les trois principes qui ont présidé à la création du système politique de l’Angsoc : « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force » ; ils ont ajouté trois principes de leur cru : « la mort c’est la vie, le mensonge c’est la vérité, la logique c’est l’absurde ».
Une autre référence que je me permets de citer et de mettre en avant est celle faite à Alain Damasio, un écrivain dont la merveilleuse plume me transporte qui dit « Réfléchir c’est fléchir deux fois », Boualem Sansal le changeant en « Faire, c’est croire deux fois, et ne rien faire c’est mécroire dix fois. ».
Ma conclusion sera brève : selon moi, ce qui sauve 2084 est son excellent phrasé, il m’est rare d’autant apprécier lire de longues descriptions. Ma déception relève du fait que ce livre transpire l’espoir, à chaque page, chaque action, chaque fait qui relève de l’impossible dans un vrai régime totalitaire. Comment adhérer à un 2084 qui dégouline d’espoir alors que l’auteur fait plus que s’inspirer de 1984, livre où jamais le moindre bonheur, la moindre espérance n’apparaît ?
C’est probablement maladroit et sûrement présomptueux de ma part de terminer ainsi : lorsqu’on se met la barre aussi haute en intitulant son roman 2084 et en multipliant les références d’Orwell, il faut relever le défi avec brio et non pas écrire un telle copie mal recopiée.