A travers ce magistral ouvrage sur le rôle de la cité dans l'histoire et sur l'histoire des cités, Lewis Mumford fait apparaitre certain points cruciaux qui du fait de leur universalité restent plus que jamais d'actualité.
"Les premières cités allaient élever leurs édifices de pierre, pour opprimer ou pour rassembler, pour attaquer ou protéger, pour la paix et pour la guerre, pour s'imposer par la force et par l'amitié."
"Dans la cité, l'accroissement global de la richesse et celui du chiffre de la population allaient être suivis d'une différentiation d'un autre type : la séparation entre les riches et les pauvres, conséquence d'une importante notion nouvelle, le droit de propriété. La propriété, au sens que l'on attribue actuellement à ce terme, n'existait pas dans les sociétés primitives : les peuples étaient attachés à une terre plus qu'ils n'en étaient possesseurs; et dans les frairies et les disettes, ils s'en partageaient les produits. L'état de disette artificielle qui lie l'ouvrier à sa tache, tandis qu'un patronat s'enrichit, est un pur produit de la civilisation."
"Le droit de propriété était, dans la cité, considéré comme sacré; et il allait être d'autant mieux protégé que s'accentuait la séparation des classes. La vie humaine ne faisait pas l'objet d'autant de garanties qu'un titre de propriété (...). Mais là encore la distinction entre les riches et les pauvres ne manquait pas d'avoir des incidences : suivant la classe à laquelle appartenaient les délinquants, l'échelle des peines était différente. (...) Il s'agissait là, selon l'excellente expression de Giambattista Vico, de la "barbarie de la civilisation" .
"La lutte tragique contre les éléments et les forces d'une nature hostile faisait place aux perspectives du drame intérieur qui ne trouve pas sa solution dans une victoire matérielle, mais dans une conscience plus vive, un plus riche développement de l'esprit."
"Et si l'un des buts essentiels de la cité est d'offrir des possibilités nouvelles au dialogue et à la solution des conflits, le progrès dans ce sens consisterait à élargir le cercle de ceux qui sont capables d'y participer, tant qu'à la fin chaque homme puisse avoir son mot à dire dans cette vaste conversation."
De la cité antique aux mégalopoles modernes, l'exigence première concernant une ville est d'être un lieu de rencontre et de dialogue. L'exclusion, la mise à l'écart d'une part toujours plus grande des populations, est l'expression même de l'échec d'une société qui perd ainsi sa raison d'être.
Aussi, face à ce délitement et s'appuyant sur les leçons de l'histoire, Mumford n'hésite pas à envisager un sombre dénouement : "Le grand silence descendu sur les cités mortes n'est il pas plus méritoire que les slogans verbeux de communautés qui ne connaissent ni l'impartialité, ni les oppositions dialectiques, ni l'ironie de la critique, ni les stimulantes dissemblances, ni les théories rivales, ni l'indomptable résolution morale."
Le livre, divisé en chapitres cohérents, est d'une lecture aisée et ne présente aucune difficulté pour toute personne ayant pu acquérir un minimum de culture.
Mais il est vrai que la présente organisation totalitaire de la cité ne permet plus vraiment ce genre d'acquisition.
steka
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le 26 nov. 2011

Modifiée

le 26 févr. 2014

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