Maryse Condé prend sa plume pour tuer quelques unes des fausses vérités qui ont été écrites sur son compte. Compléter des imprécisions. Commenter des points obscurs. Et c’est à sa période « africaine » qu’elle consacre cette autobiographie.
Issue d’une famille de « Grands Nègres » de la Guadeloupe (comprendre : autochtones lettrés, instruits… petits bourgeois), elle traverse l’Atlantique et vient étudier en métropole où elle rencontre Mamadou Condé qu’elle épouse. Bien vite, elle s’aperçoit qu’elle n’éprouve aucun amour véritable pour son mari tout neuf et ressent le besoin de prendre le large, de mettre une certaine distance entre elle et lui. C’est ainsi que, fascinée par l’Afrique, elle part enseigner en Côte d’Ivoire, accompagnée de son fils né de sa courte relation avec un haïtien et enceinte d’une fille. La réalité du « terrain » ne ressemble pas à ce qu’elle avait imaginé. Elle est rejetée par la communauté noire, les antillais étant détestés car perçus comme proches des colonisateurs.
Incapable de s’intégrer et de se sortir de la médiocrité, elle part rejoindre son mari qui a regagné son pays natal. C’est désormais à Conackry qu’elle va poursuivre son enseignement. Mais là encore, des difficultés inouïes se dressent devant elle. La barrière des langues ethniques qu’elle n’apprend pas, la vie commune avec un homme qu’elle n’aime pas, les graves pénuries qui frappent ce pays sympathisant du socialisme soviétique, la dictature de Sékou Touré font de sa vie un enfer.
Elle revient ensuite pour un temps à Paris où elle vit une relation intense avec le fils naturel de François Duvalier, dictateur sanguinaire qui, à la tête de ces tontons macoutes ravagea l’île d’Haïti. Sa vie d’errance se poursuit. Elle tente de fuir les difficultés qui s’accrochent à elle de façon inexorable. Enceinte pour la quatrième fois, elle se réfugie au Ghana. Pays anglophone dans lequel elle peine à s’acclimater. Sa vie ne s’améliore pas. En couple avec un homme qui la somme de se débarrasser de ses enfants, elle assiste à au coup d’état de 1966.
Le dictateur déchu se réfugie en Guinée et est remplacé par un régime tout aussi dictatorial que le précédent. En temps que guinéenne (d’adoption), l’auteure est accusée d’espionnage et emprisonnée avant d’être expulsée vers l’Angleterre. C’est à Londres qu’elle tente de se reconstruire une nouvelle fois. Elle la chance semble lui sourire. Mais c’est sans compter l’ironie du sort qui la ramène à Accra et à sa passion dévorante.
Son errance africaine s’achève au Sénégal où elle commence à écrire, ébauchant son premier roman Heremakhonon.
J’ai pris plaisir à lire ces mémoires, savant mélange de celles d’Amadou Hampâté Bâ et de celles de Dany Lafferrière : difficulté d’une antillaise en pays mandingues. Un récit très couleur locale, dépaysant avec sa chaleur, ses griots, ses koras, sa vie foisonnante. Une écriture plaisante sans fausse pudeur, non dénuée d’une certaine sécheresse, d’une distance que l’auteure conserve avec ses souvenirs si douloureux. Douleur qui transparaît bien évidemment dans son texte sans toutefois oppresser le lecteur. Bénéfice du temps, de cette eau qui a coulé depuis des faits vieux de quarante ans pour les plus récents.
Un texte émaillé d’une profusion de références littéraires. Car sa période africaine a fortement influencé son œuvre. Maryse Condé tisse les connexions entre les personnages de ses romans et les personnalités les ayant inspirés.
Je regrette un peu d’avoir débuté ma lecture de l’auteure par ce livre dans lequel Maryse Condé se confie, s’explique sur une œuvre qui m’est malheureusement inconnue. La vie sans fards (pourquoi ce pluriel ?) est un livre que j’aurais certainement mieux appréhendé, mieux compris, et plus apprécié si j’avais précédemment lu d’autres de ses romans. Mais un livre qui, du coup, me donne de nombreuses pistes de lectures à venir !
BibliOrnitho
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le 18 janv. 2013

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BibliOrnitho

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