« Ça a débuté comme ça », dans un passage où les glaviots sèchent au soleil, où les étrons d’origine douteuse jonchent le trottoir et où l’air vicié rend l’atmosphère irrespirable. Dans cet endroit sordide de Paris, au début du XXe siècle, la famille Bardamu, de petits commerçants accablés de dettes, vit pour travailler et travaille pour vivre. L’enfant unique, Ferdinand, est aux yeux de ses parents, une source constante de tracas. Décidé à ne pas laisser son fils devenir un moins que rien, son père et ses incessantes crises de colère représentent au final un obstacle à l’épanouissement de Ferdinand. L’oncle Edouard, qui fait office de père de substitution et qui semble être le seul à croire en ce fils prodigue, va réussir à lui trouver différentes «situations» dans de petits ateliers parisiens, dans un internat en Angleterre et au final chez un inventeur hurluberlu, Courtial des Pereires.


Céline a troqué sa casquette de Bardamu pour redevenir Ferdinand, l’enfant qu’il a été. Les récits de son enfance sont bien entendus amplifiés, dramatisés. La fièvre qui a saisi l’écrivain dans les premières pages du livre, avant qu’il ne replonge dans ses souvenirs, est une sorte d’alibi pour l’écrivain afin qu’il puisse exprimer en amplifiant toute la grandeur dramatique et obscène de ses souvenirs. On est loin, très loin de la douce mélancolie qui est généralement exprimée dans ce genre de livre, comme par exemple dans Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. Pas de place pour les sentiments et la délicatesse dans Mort à crédit, car selon Céline :



Souvent les personnes délicates c'est des personnes qui peuvent pas jouir.



Le style de Céline, si particulier, est d’une puissance narrative rarement égalée. Les phrases courtes, ponctuées de points de suspension, sont autant de punchlines qui font de Mort à crédit un livre que l’on savoure attentivement afin de ne pas en perdre une miette.


Mort à crédit est une œuvre à découvrir, que je conseille à tous ceux qui ont apprécié Voyage au bout de la nuit et qui aimeraient refaire un bout de chemin avec cet écrivain incongru qu'est Louis-Ferdinand Céline.

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le 28 févr. 2016

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Vincent Ruozzi

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