Bonjour à vous,
Me voilà devant vous avec ce livre bien connu, et chef d' œuvre, de la littérature russe. Je ne puis résister à l' envie de rédiger une critique de ce livre que j' ai découvert récemment. C' est un tel coup de cœur que je me mets à l' ouvrage pour vous crier mon admiration pour Tolstoï. J' ai déjà une admiration sans borne pour Dostoïevski, et voilà que Tolstoï sonne à la porte. Décidemment je vais finir par apprendre le russe si cela continue pour mieux appréhender ces deux maîtres du roman russe. Mon bonheur devant Anna Karénine est tel que je me mets à l' ouvrage et me lance devant une énième critique. Je ne vais pas répéter ce que tout le monde sur senscritque a déjà dit avant moi. Je vais essayer d' être original.
Par conséquent, Je ne serai pas celui qui déboulonnera le géant Tolstoï. Considéré par beaucoup comme le plus grand écrivain russe, inutile de chercher à dévaloriser celui qui plane si haut au-dessus de nos têtes.
Je lui voue donc la même admiration que celle d'un têtard qui regarde une grenouille. Je suis encore plus déprimé que le têtard parce que je sais que dans mon cas la transformation ne se fera jamais.
J'aurais dû lire Tolstoï bien avant. Mon approche de la littérature en aurait été probablement changée. J'aurais pris conscience plus vite de l'influence du génie sur mes futurs choix de lecture. J'aurais perdu moins de temps à creuser le vide de tous les mauvais écrivains dont je tournais l'ennui et la vanité des pages avec la seule volonté de former mon goût à la lecture.
Donc, Il est difficile de parler de ce bel ouvrage sans dévoiler tout ou partie de l'intrigue. Disons que le destin de deux couples principalement y est développé même si l'on parle fréquemment d'un troisième qui fait le lien entre les deux précédents.
"Anna Karénine" est un modèle de structure romanesque. Les scènes sont d'une réalité si ordinaire qu'on a l'impression d'y participer soi-même: la chasse aux premières lueurs du jour, la moisson sous la fournaise des champs à perte de vue, le bal sous l'éclat d'un faste princier, les banquets plantureux des réunions politiques.
Le génie romanesque de Tolstoï, c'est de faire vivre les décors dans l'action des personnages, et non pas comme un tableau fixe peint une fois pour toutes, défaut trop souvent rébarbatif des écrivains du 19e. Son génie encore est dans son style, qui utilise à la perfection des adjectifs, des comparaisons et des métaphores d'une variété et d'une richesse illimitées. Rarement autant de simplicité aura projeté autant d'images dans mon esprit.
Reste bien sûr le fond du roman. Anna est devenue un archétype de la passion amoureuse, prête à tout perdre pour la vivre, mais finalement sacrifiée à la moralité de façade d'une époque et d'une classe. wronsky, Levine et Kitty, sont autant de personnages inoubliables, aussi importants qu'elle dans le roman. Levine c'est Tolstoï qui se retire sur ses terres à la campagne, qui défend ses moujiks après l'abolition du servage, et croit avoir compris le but de la vie en découvrant la foi.
Malgré cette admiration que j'ai montrée, je veux dire aussi que Tolstoï n'est jamais aussi remarquable que dans son rôle d'artiste. Il a souvent été critiqué pour "son côté prédicateur qui fait bâiller d'ennui". J'ai bien ressenti moi aussi cette impression, lorsqu'il se lance dans sa trop longue théorie sur la réforme agraire, ou sur le mécanisme compliqué d'une élection politique. Car Tolstoï s'invite parfois dans le roman et devient un narrateur moraliste et idéologue qui tranche un peu avec la forme et la force habituelles de son récit. Je regarde alors sa barbe blanche avec tendresse et je me dis que c'est mon grand-père qui parle….
Ce faisant, à partir de ces deux personnages centraux qui ne se rencontrent quasiment jamais, Léon Tolstoï parvient à faire s'arquer une voûte constituée par les relations et les réactions psychologiques des différents membres des couples et de la sorte à faire le portrait de tout un monde ainsi qu'à balayer une diversité psychologique étonnante qui donne toute son épaisseur, son intérêt et sa consistance à l'édifice.
L'incipit du roman parle de lui-même "Tous les bonheurs se ressemblent, mais chaque infortune a sa physionomie particulière." Ne m'en veuillez pas si je vous retire la joie de découvrir que celui d'Anna Karénine est de loin le couple le plus malheureux
Les couples sont aristocratiques de vieille noblesse russe en fin de XIXème siècle (c'est-à-dire que l'écrivain parlait de son époque au moment où il écrivait le roman). Les vices et les merveilles de cette vie qui n'existe plus guère de nos jours que chez les très grands patrons de très grandes entreprises et chez certains chefs d'états sont parfaitement peints avec leurs brillances et surtout, leurs vacuités et hypocrisies.
Le clivage qui existait entre cette société et le peuple est très bien illustré, notamment dans les yeux de Constantin Levine, alias Tolstoï lui-même, (concernant la question agricole, du progressiste Levine en butte avec l'épaisse conception traditionnelle réfractaire au changement, voir le parallèle français avec le personnage de Hourdequin dans La Terre de Zola) clivage qui devait conduire quelques décennies plus tard à la révolution russe de 1917.
La simplicité et la vérité du style employé par l'auteur donne toute sa force et sa grandeur à cette œuvre monumentale, qui traverse les époques sans ternir. Ne soyez pas effrayés par l'épaisseur du livre qui se lit très facilement et dont la lecture est rendue très agréable par le découpage en minuscules chapitres. Les scènes rurales sont pleines de vérité et de vécu (la chasse à la bécassine, le fauchage à la faux, le négoce du bois...) et les scènes urbaines non moins pleines de vérité et de vécu sondent les désirs et les entraves sociales magistralement.
Mon passage favori restera celui qui est le plus autobiographique de tous, la scène de la déclaration codée entre Levine et Kitty. Un instant d'une grâce infinie et difficilement égalable !
J'arrive à la fin de cette critique et pourtant, j'ai l'impression d'être passée complètement à côté du roman et de sa signification profonde. C'est Milan Kundera qui m'a fait en prendre conscience. Et si, tout bien pesé, le sujet du roman était le pardon ? Revenons un instant sur ce qu'écrit Kundera dans L'Art du roman :
« le romancier n'est le porte-parole de personne et je vais pousser cette affirmation jusqu'à dire qu'il n'est même pas le porte-parole de ses propres idées. Quand Tolstoï a esquissé la première variante d'Anna Karénine, Anna était une femme très antipathique et sa fin tragique n'était que justifiée et méritée. La version définitive du roman est bien différente, mais je ne crois pas que Tolstoï ait changé entre-temps ses idées morales, je dirais plutôt que, pendant l'écriture, il écoutait une autre voix que celle de sa conviction morale personnelle. Il écoutait ce que j'aimerais appeler la sagesse du roman. Tous les vrais romanciers sont à l'écoute de cette sagesse supra-personnelle, ce qui explique que les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs. Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs oeuvres devraient changer de métier. »
Après coup, et sans être totalement d'accord sur ce que dit Kundera à propos de ce roman en particulier, j'en suis venue à me demander si finalement le sujet d'Anna Karénine n'était pas le pardon. Non pas le pardon des personnages entre eux, mais le pardon de Tolstoï lui-même à son personnage d'Anna. Il ne l'aimait pas car adultère — ce qui heurtait sa puissante foi chrétienne — et finalement, Léon Tolstoï, en cours d'écriture, s'est mis à pardonner à Anna ce qu'elle est. Je vous laisse méditer là-dessus…
Quoi qu'il en soit, voici un roman à lire et à savourer comme un pur délice, un vrai, vrai monument de la littérature du XIXème siècle. L'auteur y déploie avec toute sa maestria, tout son savoir-faire dans des phrases qui jalonnent le pourtour de l'histoire littéraire mondiale, et pas seulement russe, car, vous l'avez compris, Léon Tolstoï est universel. Personnellement je place ce superbe roman dans mon top 10, peut-être même bien plus haut, qui sait ? mais ce n'est bien sûr que mon avis, un parmi tant d'autres, autant dire, pas grand-chose.