Unanimement reconnu comme un des plus bels ouvrages russes de l’époque – et probablement même de tous les temps - , Anna Karénine fait partie des femmes qui n’étouffent pas les élans du cœur mais les embrase, dans une société très conservatrice et religieuse où le dévoiement conjugal est plus qu’inconvenant, sinon voué à l’opprobre. Pourtant, cette dernière est dans les prédispositions les plus propices à l’épanouissement. Un mari, qui, bien qu’occupé par ses devoirs d’homme d’Etat, est d’une probité et d’une éthique sans faille, et un bel enfant fruit de cette union, qui annonce le futur radieux de la famille évoluant dans les hautes sphère moscovites. Mais lassé par l’ennui et la rigidité de sa relation platonique, elle trouve progressivement son plaisir en la personne du jeune et fougueux Vronski, qui l’envoûte et l’éconduit de ses devoirs de femme mariée. De cette rencontre en découle une relation tumultueuse, prémices de la déconvenue d’Anna, la jetant dans une tourmente sans perspective favorable. Tolstoï oppose ce triptyque amoureux à une relation bien plus frugale en érigeant comme figure de proue Kostya Levi, riche paysan ayant troqué les méandres de la « jet-set » aristocratique russe pour une vie monastique loin des regards, en s’unissant avec la princesse Kitty Cherbatzky auparavant promise à Vronski. Par cette dichotomie, Tolstoï tente de démontrer au lecteur la vertu d’une vie simple et stable, loin des devoirs superflues et de l’hypocrisie bourgeoise ayant mené Anna à sa perte. Enfin, par la réflexion intellectuelle et analytique qu’intègre Tolstoï au récit, cet ouvrage en devient un outil politique et historique très séduisant, qui, adjoint à d’autres romans tels que les frères Karamazov ou encore Guerre et Paix, apporte une réflexion universelle sur la Russie de l’époque et l’influence occidentale que Tolstoï dépeint souvent comme un danger.