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Babel
7.4
Babel

livre de R.F. Kuang (2022)

R.F. Kuang était jusque là pour moi l'auteure d'un médiocre livre de fantasy, La guerre du pavot, le tome 1 d'une série assez banale que je n'ai pas eu l'envie de continuer. Babel est autrement plus ambitieux.

Pas seulement parce que c'est un sacré pavé. Mais pour les thèmes évoqués. Nous suivons les déboires d'un jeune chinois dans l'empire anglais du XIXè siècle, à l'aube de la guerre de l'opium. Connaisseur du chinois, cantonais et mandarin, ainsi que de l'anglais, et bientôt du grec et du latin, il est employé à Babel, un service spécial de l'université d'Oxford qui assure la mainmise de l'empire anglais en pratiquant l'argentogravure, en gros une façon d'aquérir du pouvoir en redonnant les sens manquants à un mot par rapport à son étymologie.

On se retrouve donc dans une ambiance qui fait très Harry Potter, avec cette université qui pratique de fait une sorte de magie, avec un livre en quelque sorte uchronique, une histoire remaniée à la sauce fantastique en tout cas, au temps du colonialisme!

Ce qui fait très envie. Et vraiment, il y avait le potentiel pour un chef-d'oeuvre.

Parce que, depuis ma première lecture, R.F. Kuang a bien progressé : son intrigue prend la forme d'un roman feuilleton addictif, c'est souvent très agréable à lire, et passionnant.

MAIS...

Babel est un roman à message. Le genre où l'on appuie bien dessus pour être sûr que tout le monde l'a bien compris. Comme si l'auteure se sentait investie d'une mission.

Et le message est....

Que le colonialisme....

C'est mal!

Wow! Je n'aurais pas cru.

Et le problème n'est pas d'être d'accord ou non avec ce message.

Le problème c'est qu'on vous le martèle. A coups de longues notes en bas de page pour bien indiquer à quel moment il convient de s'indigner.

Il y avait pourtant un indice, dès la page de titre. Où l'on a le droit à un avertissement de contenu. Genre : attention, ce livre contient des références à l'alcool, à l'esclavage, au meurtre, etc...

Est-ce que ce livre essaie de me protéger contre lui-même? Ou bien m'insulte-t-il, en m'estimant incapable de voir que l'esclavage... c'est pas bien?

Les notes en bas de page, donc, alourdissent grandement pour rien. Parce que l'histoire, vue du point de vue d'un étudiant chinois à l'aube de la "guerre" déclarée à son pays, était forcément anti-coloniale, se suffisait à elle-même. L'auteure n'avait donc pas la moindre confiance en son histoire?

Et puis cela manque de maturité : cela donne l'impression qu'elle a été choquée lors d'un cours sur le sujet, et qu'elle régurgite ledit cours. Pas seulement dans les notes. Mais dans le texte. Ce n'est plus un roman, c'est un manifeste. Pourquoi pas? Mais cela ne se mélange guère avec le côté roman feuilleton. Je me disais, devant certains passages : "Tiens, ça illustre ce que j'ai lu dans Fanon. Ou dans Wilson". Sans surprise, Fanon sera cité en exergue d'un des chapitres finaux.

Cela rend l'intrigue on ne peut plus prévisible. Ainsi on sait très tôt que seuls les personnages de couleur vont se ranger aux côtés des héros. Et une femme aussi. Pour le quota blanc. Et peu importe que son nom soit cité deux fois en six cent pages avant cela. L'important c'est de montrer que les femmes... Au lieu du sermon, on aurait préféré, sans doute, que ces noms dont on ignore tout deviennent des personnages, pas simplement des silhouettes dont on ne connaît que le rôle social.

Cela rend toute la résolution de l'intrigue complètement ratée.

Pramoedia Ananta Toer avait par exemple, avec le buru quartet, écrit un projet similaire. Mais il se contentait de faire confiance à son histoire et à ses personnages, et surtout, il avait une vue bien plus large et pertinente du sujet. Cela a donné un chef-d'oeuvre. Mais ici, tout est caricatural, superficiel. Un comble quand on voit la taille du bouquin.

Avoir de bonnes intentions, c'est bien, je ne critique pas ça.

Mais ça ne suffit pas.

L'érudition non plus.

Parce que Kuang en fait preuve. Aucun doute là-dessus.

Mais sans la réflexion qui doit l'accompagner.

Alors que, si elle s'était contentée d'écrire son roman feuilleton, Babel aurait été génial.

BigDino
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes une histoire de l'imaginaire -les livres de science-fiction et de fantasy et 2025 en livres

Créée

le 6 nov. 2025

Critique lue 34 fois

BigDino

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