Charge
7.8
Charge

livre de Treize (2023)

Charge contre la psychiatrisation déshumanisante.

Treize livre un texte qui tient à la fois du témoignage brut et de la mise en accusation. Pendant dix ans, son corps et sa tête ont été livrés à la mécanique psychiatrique : médications massives, diagnostics oppressifs, enfermement institutionnel et peur enkystée dans le ventre. Ce récit, c’est la parole d’un.e psychiatrisé•e qui reprend le micro, dans un espace où l’on est plus souvent réduit•e au silence qu’invité•e à parler.


Le livre ouvre le huis clos psychiatrique, ce lieu clos par excellence, où la frontière entre soin et violence se brouille. Il met en lumière l’expérience quotidienne d’une domination : celle des discours médicaux qui écrasent, des protocoles qui réduisent l’existence à un cas clinique, des violences symboliques (et parfois physiques) qui s’inscrivent dans les murs des hôpitaux. On y retrouve les thématiques chères aux courants antipsychiatriques : l’asymétrie radicale entre « ceux qui savent » et « ceux qui subissent », le rôle disciplinaire des institutions, la reproduction des rapports de pouvoir jusque dans les chambres d’isolement et les ordonnances.


Mais ce serait trop simple d’en rester à un rejet absolu. Treize le souligne en creux : l’expérience est subjective, située, singulière. Il existe des services qui inventent d’autres façons de soigner, des équipes qui se battent pour accompagner avec respect et humanité. Il existe des soignant•es qui refusent la brutalité et des espaces où la psychiatrie peut être un appui plutôt qu’une machine d’écrasement.


C’est dans cette tension que le livre est fort : il ne se contente pas de témoigner, il politise. Il rappelle que la psychiatrie n’est pas neutre, mais traversée par des choix sociaux, politiques, économiques. Que l’institution peut protéger comme elle peut détruire. Et qu’il est vital d’entendre les voix de celles et ceux qui, trop souvent, restent au rang d’objets de discours plutôt que de sujets parlants.


Charge est une lecture nécessaire. Pas parce qu’elle délivrerait une vérité définitive sur la psychiatrie, mais parce qu’elle redonne une légitimité à une parole trop souvent disqualifiée. C’est un livre qui oblige à regarder en face la complexité du soin psychique : entre secours et enfermement, entre prise en charge et dépossession. Par la puissance du récit et la clarté politique qu’il impose, ce livre peut renvoyer à l’expérience d’autres malades passé•es par la case HP : je sais ce que ça veut dire de vivre l’hôpital de l’intérieur, de sentir la frontière poreuse entre soin et violence, entre réconfort et peur. On lit Treize et on comprend qu’il n’y a pas une psychiatrie, mais des psychiatrisé•es – chacun•e avec sa mémoire, ses cicatrices, ses colères et ses troubles. Ce livre, c’est autant un miroir qu’un cri, et il m’a touché parce qu’il ose dire tout haut ce que beaucoup taisent encore.

guipolgpl
8
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le 13 sept. 2025

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