Pourquoi irais-je me noyer parmi les innombrables critiques existantes sur l'œuvre de Nietzche, au discours multiforme, dans laquelle chacun semble y voir ce qui l'arrange ? Aussi est-ce pour cela que je préfère m'attarder sur une forme d'expression spontanée qui emprunte au surréalisme son sacré de l'instant :
Quand je lis du Nietzche, je ne m'attends à ce qu'il m'aide à formuler la puissance et la liberté, signifier l'indépendance, définir la posture intellectuelle à tenir vis-à-vis des morales, percevoir leur fondement humain, trop humain, à appréhender un résumé subversif des courants et penseurs à travers le temps...
Quand je lis du Nietzche, je veux vibrer à travers son regard, ressentir ses pulsions créatrices, son acharnement à juger sans pitié toutes les dénommées impostures et attitudes médiocres, je bois ses envolées, je le vois frénétique à scarifier le papier dans une violence prodigieusement fertile, je le sens enragé, submergé d'un trop plein qui doit viscéralement être évacué, je le sens s'autoproclamer maître absolu non par pédanterie ou soucis carriériste mais par une sincérité dévorante, une impression de clairvoyance, d'évidence, quant à l'ensemble des perceptions qu'il paraît accuser si naturellement, dont alors on imagine l'origine si tortueuse ; un cerveau en ébullition, assailli par tant d'éléments perçus comme outrageux, pénibles, tous perçus simultanément, dans un flot dont l'écriture arborescente et lapidaire est la transcription subjective d'une prodigieuse quantité de signaux environnants. Nietzche, c'est un génie intellectuel, précoce, mais pas que ; il rompt les règles, s'incarne, s'affirme, et plaît par son identité, ou du moins, de ce que l'on perçoit à travers cette identité de puissance à l'apparence à la fois enragée et juste, alors une magie semble opérer, elle nous mène à nous identifier à sa prose si instantanée, franche, fascinante.